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a eu le plus de succès, est la Méthode pour étudier l’Histoire, avec un Catalogue des principaux Historiens ; elle a été imprimée plusieurs fois, & traduite en plusieurs langues.

Pendant la guerre de 1701, & depuis pendant la Régence, les correspondances étrangeres qu’il entretenoit, le mirent à portée de faire parvenir au gouvernement des avis utiles, qui lui mériterent une pension dont il a joüi jusqu’à sa mort. Un des plus importans qu’il donna fut par malheur un de ceux dont les circonstances empêcherent le plus de profiter. Il avoit fort connu en Allemagne & en Hollande un Général étranger, qui dans la derniere guerre de 1741, commandoit l’Armée & avoit la confiance d’un de nos principaux Alliés. Il découvrit au Ministere les raisons qui devoient rendre cet étranger suspect, & l’évenement justifia tout ce qu’il en avoit dit.

Sa mémoire étoit prodigieuse, sa conversation animée & pleine d’anecdotes, son style extrèmement négligé ; heureusement la plûpart des matieres qu’il a traitées étant de pure érudition, les vices de la diction peuvent s’y pardonner plus aisément. Il écrivoit comme il parloit, avec beaucoup de rapidité, & par cette raison il paroissoit mieux parler qu’il n’écrivoit : son peu de fortune ne lui laissoit pas toûjours le tems de revoir ses écrits avant que de les publier ; cette raison doit faire excuser les méprises qui s’y trouvent.

Sur la fin de sa vie il s’adonna, dit-on, à la pierre philosophale, y altéra sa santé, & s’y seroit ruiné s’il avoit pû l’être.

L’amour de l’indépendance, ce sentiment si naturel & si nuisible, étoit sa grande passion, & lui fit refuser constamment tous les postes avantageux que ses talens & ses connoissances auroient pû lui procurer, soit dans les pays étrangers, soit dans sa propre patrie ; mais la liberté qu’il vouloit pour sa personne, se montroit souvent trop à découvert dans ses écrits, & lui attira quelques disgraces de la part du Ministere ; il les recevoit sans murmure, & même sans chagrin, & consentoit à les souffrir, pourvû qu’on lui permît de les mériter.

Quelquefois assez vif, quelquefois aussi indifférent sur ses propres intérêts, il a voulu que son travail pour l’Encyclopédie fût absolument gratuit. Outre plusieurs articles qu’il a revûs dans les trois derniers volumes, il nous en a donné en entier quelques-uns ; les plus considérables sont Constitution de l’Empire & Diplomatique ; dans ce dernier il attaque avec plusieurs savans l’authenticité des titres & des chartes du moyen âge. Les deux Bénédictins Auteurs de la nouvelle Diplomatique, lui ont répondu dans la préface de leur second Volume. Nous n’entrerons point dans cette question, & nous ne sommes point étonnés de voir M. l’Abbé Lenglet combattu par de savans Religieux, qui peuvent être aussi fondés qu’intéressés à défendre l’opinion contraire.


Edme Mallet, Docteur & Professeur Royal en Théologie de la Faculté de Paris, de la Maison & Société royale de Navarre, naquit à Melun en 1713 d’une famille pleine de probité, &, ce qui en est souvent la suite, peu accommodée des biens de la fortune.

Après avoir fait ses études avec succès au collége des Barnabites de Montargis, fondé par les Ducs d’Orléans, il vint à Paris, & fut choisi par M. de la Live de Bellegarde Fermier général, pour veiller à l’instruction de ses enfans. Les principes de goût & les sentimens honnêtes qu’il eut soin de leur inspirer, produisirent les fruits qu’il avoit lieu d’en attendre. C’est aux soins de cet instituteur, secondés d’un heureux naturel, que nous devons M. de la Live de Jully, Introducteur des Ambassadeurs, & Honoraire de l’Académie royale de Peinture, qui cultive les beaux Arts avec succès, amateur sans ostentation, sans injustice, & sans tyrannie.

M. l’Abbé Mallet passa de cet emploi pénible dans une carriere non moins propre à faire connoître ses talens ; il entra en Licence en 1742 dans la Faculté de Théologie de Paris. Les succès par lesquels il s’y distingua ne furent pas équivoques. C’est l’usage en Sorbonne à la fin de chaque Licence de donner aux Licentiés les places, à-peu-près comme on le pratique dans nos colléges : les deux premieres de ces places sont affectées de droit aux deux Prieurs de Sorbonne ; les deux suivantes (par un arrangement fondé sans doute sur de bonnes raisons) sont destinées aux deux plus qualifiés de la Licence : le mérite dénué de titres n’a dans cette liste que la cinquieme place ; elle fut donnée unanimement à M. l’Abbé Mallet.

Pendant sa Licence il fut aggrégé à la Maison & Société royale de Navarre. Les hommes illustres qu’elle a produits, Gerson, Duperron, Launoi, Bossuet, & tant d’autres, étoient bien propres à exciter l’émulation de M. l’Abbé Mallet, & avoient déterminé son choix en faveur de cette Maison célebre.

Tout l’invitoit à demeurer à Paris ; le séjour de la Capitale lui offroit des ressources assûrées, & le succès de sa Licence des espérances flateuses. Déjà la Maison de Rohan l’avoit choisi pour élever les jeunes Princes de Guemené Montbason ; mais sa mere & sa famille avoient besoin de ses secours : aucun sacrifice ne lui coûta pour s’acquitter de ce