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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/76

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y avoir de problématique dans la question, si la mélodie est suggérée par l’harmonie ?

Que dirons-nous de ce qu’on a avancé dans ces derniers tems, que la Géométrie est fondée sur la résonnance du corps sonore ; parce que la Géométrie est, dit-on, fondée sur les proportions, & que le corps sonore les engendre toutes ? Les Géometres nous sauroient mauvais gré de refuter sérieusement de pareilles assertions : nous nous permettrons seulement de dire ici, que la considération des proportions & des progressions est entierement inutile à la théorie de l’art musical : je pense l’avoir suffisamment prouvé par mes élémens même de Musique, où j’ai donné, ce me semble, une théorie de l’harmonie assez bien déduite, suivant les principes de M. Rameau, sans y avoir fait aucun usage des proportions ni des progressions. En effet, quand les rapports de l’octave, de la quinte, de la tierce, &c. seroient tout autres qu’ils ne sont ; quand ces rapports ne formeroient aucune progression ; quand on n’y remarqueroit aucune loi ; quand ils seroient incommensurables, soit en eux-mêmes, soit entre eux, la résonnance du corps sonore, qui produit la douzieme & la dix-septieme majeures, & qui fait frémir la douzieme & la dix-septieme majeures au-dessous de lui, suffiroit pour fonder tout le système de l’harmonie. M Rousseau a très-bien prouvé, au mot Consonance, que la considération des rapports est tout-à-fait illusoire pour rendre raison du plaisir que nous font les accords consonans ; la considération des proportions n’est pas moins inutile dans la théorie de la Musique. Les géometres qui ont voulu introduire le calcul dans cette derniere science, ont eu grand tort de chercher dans une source tout-à-fait étrangere, la cause du plaisir que la Musique nous procure ; le calcul peut à la vérité faciliter l’intelligence de certains points de la théorie, comme des rapports entre les tons de la gamme, & du tempérament ; mais ce qu’il faut de calcul pour traiter ces deux points est si simple &, pour tout dire, si peu de chose, que rien ne mérite moins d’étalage. Combien donc doit-on desapprouver quelques musiciens qui entassent dans leurs écrits chiffres sur chiffres, & croyent tout cet appareil nécessaire à l’art ? La fureur de donner à leurs productions un faux air scientifique, qui n’en impose qu’aux ignorans, les a fait tomber dans ce défaut, qui ne sert qu’à rendre leurs traités beaucoup moins bons & beaucoup plus obscurs. Je crois qu’en qualité de géometre, on me pardonnera de protester ici (si je puis m’exprimer de la sorte) contre cet abus ridicule de la Géométrie dans la Musique, comme j’ai déjà reclamé ailleurs contre l’abus de la même science dans la Physique, dans la Métaphysique, &c. Voyez Application, &c.

Qu’il me soit encore permis d’ajoûter (car une vérité qu’on a dite, conduit bien-tôt & comme nécessairement à une autre) que les explications & les raisonnemens physiques ne sont pas plus utiles à la théorie de l’art musical, ou plûtôt le sont encore moins que les calculs géométriques. Nous savons, par exemple, & nous le disons ici par l’intérêt que nous prenons aux ouvrages de M. Rameau, que cet artiste célebre se reproche avec raison d’avoir mêlé dans le premier chapitre de sa Génération harmonique, aux expériences lumineuses qui font la base de son système, l’hypothèse physique dont nous avons parlé sur la différente élasticité des parties de l’air, par le moyen de laquelle il prétend expliquer ces expériences ; hypothèse purement conjecturale, & d’ailleurs insuffisante pour rendre raison des phénomenes. Ceux qui ont les premiers proposé cette hypothèse (car M. Rameau convient qu’il n’en est pas l’auteur), ont pû la donner comme une opinion ;

mais jamais on n’a dû en faire la base d’un traité de l’harmonie. Des faits, & point de verbiage ; voilà la grande regle en Physique comme en Histoire.

Tenons-nous-en donc aux faits ; & pour finir ce long article par quelque chose qui intéresse véritablement les artistes & les amateurs, entretenons ici nos lecteurs d’une belle expérience du célebre M. Tartini, qui a rapport à la basse fondamentale.

Voici cette expérience telle qu’elle est rapportée par l’auteur même, dans son ouvrage qui a pour titre, Trattato di Musica, secundo la vera scienza dell’armonia, imprimé à Padoue 1754 ; ouvrage qui n’est pas également lumineux par-tout, mais qui contient d’excellentes choses, & dont nous pourrons faire usage dans la suite pour enrichir plusieurs articles de l’Encyclopédie.

Etant donnés à-la-fois (c’est M. Tartini qui parle) deux sons produits par un même instrument capable de tenue, c’est-à-dire qui puisse faire durer & soûtenir le son, comme trompette, hautbois, violon, cor-de-chasse, &c. ces deux sons en produiront un troisieme très-sensible. Ainsi, qu’on tire en même tems d’un violon deux sons forts & soûtenus en tel rapport l’un à l’autre qu’on voudra, ces deux sons en produiront un troisieme, que nous assignerons tout-à-l’heure. La même chose aura lieu, si au lieu de tirer les deux sons à-la-fois d’un même violon, on les tire séparément de deux violons éloignés l’un de l’autre de cinq ou six pas ; placé dans l’intervalle des deux violons, on entendra le troisieme son, & on l’entendra d’autant mieux, qu’on sera plus près du milieu de cet intervalle, & d’autant moins, qu’on se rapprochera davantage d’un des deux violons. La même expérience aura lieu, & même plus sensiblement encore, si on se sert de hautbois au lieu de violons. Voici maintenant quel est ce troisieme son dans tous les cas.

Deux sons à l’unisson ou à l’octave, ne donnent point de troisieme son.

Deux sons à la quinte, comme ut sol, donnent pour troisieme son l’unisson ut du son le plus grave. Cet unisson se distingue difficilement, mais il se distingue.

Deux sons à la quarte, comme ut, fa, donnent la quinte fa au-dessous du son le plus grave ut.

Deux sons à la tierce majeure, comme ut, mi, donnent l’octave ut au-dessous du son le plus grave ut.

Deux sons à la tierce mineure, comme ut #, mi, donnent la dixieme majeure la, au-dessous du son le plus grave ut ♯.

Deux sons à l’intervalle d’un ton majeur, ut ré, donnent la double octave au-dessous du son le plus grave ut.

Deux sons à l’intervalle d’un ton mineur, ré, mi, donnent l’ut qui est à la seizieme au-dessous du son le plus grave .

Deux sons à l’intervalle d’un semi-ton majeur, si, ut, donnent l’ut à la triple octave au-dessous du son le plus aigu ut.

Deux sons à l’intervalle d’un demi-ton mineur, sol, sol ♯, donnent l’ut qui est à la vingt-sixieme au-dessous du son le plus grave sol.

La tierce majeure renversée en sixte mineure, donne le même troisieme son qu’auparavant. Ainsi on a vû ci-dessus que la tierce majeure ut mi donnoit l’octave au-dessous d’ut. La sixte mineure mi ut, dans laquelle ut est monté à l’octave, mi restant sur le même degré, donnera donc la double octave au-dessous de ce dernier ut.

La tierce mineure renversée en sixte majeure, donne le même son qu’auparavant, mais une octave plus haut : la tierce mineure utmi donne, comme on l’a vû, le la qui est à la douzieme au-des-