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philosophes, avoient donné une étendue aux esprits, infinie à Dieu, finie aux anges & aux ames raisonnables. Il est vrai qu’ils soûtenoient que cette étendue n’est point matérielle, ni composée de parties, & que les esprits sont tout entiers dans chaque partie de l’espace qu’ils occupent : toti in toto, & toti in singulis partibus. De-là sont sortis les trois especes de présence locale, ubi circumscriptivum, ubi definitivum, ubi repletivum ; la premiere pour les corps, la seconde pour les esprits créés, & la troisieme pour Dieu. Les Cartésiens ont renversé tous ces dogmes ; ils disent que les esprits n’ont aucune sorte d’étendue, ni de présence locale ; mais on rejette leur sentiment comme très absurde. Disons donc qu’encore aujourd’hui presque tous nos Philosophes & tous nos Théologiens enseignent, conformément aux idées populaires, que la substance de Dieu est répandue dans des espaces infinis. Or, il est certain que c’est ruiner d’un côté ce qu’on bâtit de l’autre. C’est redonner en effet à Dieu la matérialité qu’on lui avoit ôtée. Vous dites qu’il est un esprit, voilà qui est bien ; c’est lui donner une nature différente de la matiere. Mais en même tems vous dites que sa substance est répandue par-tout ; vous dites donc qu’elle est étendue ? Or nous n’avons point d’idée de deux sortes d’étendue : nous concevons clairement que toute étendue, quelle qu’elle soit, a des parties distinctes, impénétrables, inséparables les unes des autres. C’est un monstre que de prétendre que l’ame soit toute dans le cerveau & toute dans le cœur. On ne conçoit point que l’étendue divine & l’étendue de la matiere puissent être au même lieu, ce seroit une véritable pénétration de dimensions que notre raison ne conçoit pas. Outre cela, les choses qui sont pénétrées avec une troisieme, sont pénétrées entre elles, & ainsi le ciel & le globe de la terre sont pénétrés entre eux ; car ils seroient pénétrés avec la substance divine, qui, selon vous, n’a point de parties ; d’où il résulte que le soleil est pénétré avec le même être que la terre. En un mot, si la matiere n’est matiere que parce qu’elle est étendue, il s’ensuit que toute étendue est matiere : l’on vous défie de marquer aucun attribut différent de l’étendue par lequel la matiere soit matiere. L’impénétrabilité des corps ne peut venir que de l’étendue, nous n’en saurions concevoir que ce fondement ; & ainsi vous devez dire que si les esprits étoient étendus, ils seroient impénétrables ; ils ne seroient donc point différens des corps par la pénétrabilité. Après tout, selon le dogme ordinaire, l’étendue divine n’est ni plus ni moins ou impénétrable ou pénétrable que celle du corps. Les parties, appellez les virtuelles, tant qu’il vous plaira, ces parties, dis-je, ne peuvent point être pénétrées les unes avec les autres ; mais elles peuvent l’être avec les parties de la matiere. N’est-ce pas ce que vous dites de celles de la matiere ? mais elles peuvent pénétrer les parties virtuelles de l’étendue divine. Si vous consultez exactement le sens commun, vous concevrez que lorsque deux étendues sont pénétrativement au même lieu, l’une est aussi pénétrable que l’autre. On ne peut donc point dire que l’étendue de la matiere differe d’aucune autre sorte d’étendue par l’impénétrabilité : il est donc certain que toute étendue est aussi matiere ; & par conséquent vous n’ôtez à Dieu que le nom de corps, & vous lui en laissez toute la réalité lorsque vous dites qu’il est étendu » ? Consultez l’article de lAme, où l’on prouve, à la faveur de la raison & de quelques étincelles de bonne philosophie, qu’outre les substances matérielles, il faut encore admettre des substances purement spirituelles & réellement distinctes des

premieres. Il est vrai que nous ignorons ce que sont au fond que ces deux sortes de substances ; comment elles viennent se joindre l’une à l’autre ; si leurs propriétés se réduisent au petit nombre de celles que nous connoissons. C’est ce qu’il est impossible de décider ; & d’autant plus impossible, que nous ignorons absolument en quoi consiste l’essence de la matiere, & ce que les corps sont en eux-mêmes. Les modernes, il est vrai, ont fait sur cela quelques pas de plus que les anciens ; mais qu’il leur en reste encore à faire !

IMMATRICULATION, s. f. (Jurisprud.) signifie inscription de quelqu’un dans la matricule ou registre ; les nouveaux officiers sont reçûs & immatriculés dans le siége où ils exercent leur fonction. Les nouveaux propriétaires des rentes assignées sur les revenus du Roi, se font immatriculer par les payeurs pour pouvoir toucher les rentes. Voyez Immatricule & Matricule. (A)

IMMATRICULE, adject. (Jurisprud.) est l’acte contenant l’inscription de quelqu’un dans la matricule ou registre commun. L’immatricule d’un huissier ou autre officier est l’acte par lequel il a été inscrit au nombre des officiers du tribunal. L’immatricule d’un nouveau rentier ou propriétaire de quelque partie de rente assignée sur les revenus du Roi, est l’acte par lequel il est inscrit & reconnu en qualité de nouveau propriétaire de cette rente, à l’effet d’en être payé au lieu & place du précédent propriétaire. Voyez Immatriculation & Matricule. (A)

IMMEDIAT, adj. (Gramm.) qui suit ou précede un autre sans aucune interposition. V. Medecine.

Immédiat signifie aussi, qui agit sans moyen, sans milieu. On dit dans ce sens, grace immédiate, & cause immédiate.

On a vû depuis quelques années de grandes disputes sur la grace immédiate entre les Théologiens. Il s’agissoit de savoir, si la grace agit sur le cœur & sur l’esprit par une efficacité immédiate, indépendamment des circonstances externes ; ou si un certain assemblage, ou certain ménagement de circonstances, jointes au ministere de la parole, peuvent produire la conversion des ames. Voyez Grace. Voyez le dictionn. de Trévoux.

IMMEMORIAL, adj. (Gram. & Jurisprd.) se dit de ce qui passe la mémoire des hommes qui sont actuellement vivans, & dont on ne connoît point le commencement. On dit, par exemple, que de tems immémorial on en a usé ainsi, ou que l’on a une possession immémoriale d’un héritage. La possession de trente ou quarante ans, & même de cent ans, n’est point immémoriale, dès que l’on en connoît l’origine. Voyez Possession. (A)

IMMENSITÉ, s. f. (Métaphysiq.) ce terme est relatif à l’étendue, comme celui d’éternité à la durée. L’éternité est un tems sans limites ; l’immensité est un espace sans bornes.

On entend par l’immensité de Dieu, la présence de Dieu par-tout. Or on connoît que Dieu peut être présent par-tout de trois manieres : 1°. par la connoissance, parce que rien ne lui est caché ; 2°. par son opération ou par sa puissance, parce qu’il produit & conserve tout en tout lieu ; 3°. par son essence ou par sa substance, entant qu’il pénetre tout, & qu’il se trouve par-tout substantiellement.

Parmi les anciens hérétiques qui ont erré sur l’immensité de Dieu, les Valentiniens, les Gnostiques, les Manichéens admettant deux principes de toutes choses, l’un bon, & l’autre mauvais, plaçoient le premier dans la région de la lumiere, & le second dans celle des ténebres, par conséquent ils nioient l’immensité de Dieu quant à sa substance.

Wortius, les Calvinistes & les Sociniens ont ren-