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férocité, mais aussi comme les lumieres ôtent l’enthousiasme d’estime, il ôte peut-être l’enthousiasme de vertu  ; il éteint peu-à-peu l’esprit de désintéressement, qu’il remplace par celui de justice  ; il adoucit les mœurs que les lumieres polissent  ; mais en tournant moins les esprits au beau qu’à l’utile, au grand qu’au sage, il altere peut-être la force, la générosité & la noblesse des mœurs.

De l’esprit de commerce & de la connoissance que les hommes ont aujourd’hui des vrais intérêts de chaque nation, il s’ensuit que les législateurs doivent être moins occupés de défenses & de conquêtes qu’ils ne l’ont été autrefois  ; il s’ensuit qu’ils doivent favoriser la culture des terres & des arts, la consommation & le produit de leurs productions, mais ils doivent veiller en même tems à ce que les mœurs polies ne s’affoiblissent point trop & à maintenir l’estime des vertus guerrieres.

Car il y aura toujours des guerres en Europe, on peut s’en fier là-dessus aux intérêts des ministres  ; mais ces guerres qui étoient de nation à nation ne seront souvent que de législateur à législateur.

Ce qui doit encore embraser l’Europe c’est la différence des gouvernemens ; cette belle partie du monde est partagée en républiques & en monarchies  : l’esprit de celles-ci est actif, & quoiqu’il ne soit pas de leur intérêt de s’étendre, elles peuvent entreprendre des conquêtes dans les momens où elles sont gouvernées par des hommes que l’intérêt de leur nation ne conduit pas  ; l’esprit des républiques est pacifique, mais l’amour de la liberté, une crainte superstitieuse de la perdre, porteront souvent les états républicains à faire la guerre pour abaisser ou pour réprimer les états monarchiques  ; cette situation de l’Europe entretiendra l’émulation des vertus fortes & guerrieres, cette diversité de sentimens & de mœurs qui naissent de différens gouvernemens, s’opposeront au progrès de cette mollesse, de cette douceur excessive des mœurs, effet du commerce, du luxe & des longues paix.

LEGISLATION, s. f. (Gram. & Politiq.) l’art de donner des loix aux peuples. La meilleure législation est celle qui est la plus simple & la plus conforme à la nature, il ne s’agit pas de s’opposer aux passions des hommes ; mais au contraire de les encourager en les appliquant à l’intérêt public & particulier. Par ce moyen, on diminuera le nombre des crimes & des criminels, & l’on réduira les lois à un très-petit nombre. Voyez les articles Législateur & Loix.

LEGISTE, s. m. (Gram.) se dit du maître & de l’écolier en Droit. L’arrivée des légistes au parlement, sous Philippe de Valois, causa de grands changemens : ces gens pleins de formalités qu’ils avoient puisées dans le Droit, introduisirent la procédure, & par-là ils se rendirent maîtres des affaires les plus difficiles. Diction. de Trévoux.

LÉGITIMATION, (Jurisprud.) est l’acte par lequel un bâtard est réputé enfant légitime & jouit des mêmes privileges.

Les enfans nés en légitime mariage ont toujours été distingués des bâtards, & ceux-ci au contraire ont toujours été regardés comme des personnes défavorables.

Chez les Hébreux, les bâtards n’héritoient point avec les enfans légitimes, ils n’étoient point admis dans l’église jusqu’à la dixieme génération ; & l’on ne voit point qu’il y eût aucun remede pour effacer le vice de leur naissance.

Les bâtards étoient pareillement incapables de succéder chez les Perses & les Grecs.

Pour ce qui est des Romains, dans tous les livres du digeste, il se trouve beaucoup de lois pour délivrer les esclaves de la servitude, & pour donner

aux libertins ou affranchis la qualité d’ingénus ; c’est à quoi se rapportent le titre de jure aureorum annulorum, & celui de natalibus restituendis ; mais on n’y trouve aucune loi qui donne le moyen de legitimer les bâtards ni de les rendre habiles à succéder comme les enfans.

Il n’y avoit alors qu’un seul moyen de légitimer les bâtards & de les rendre habiles à succéder, c’étoit par la voie de l’adoption à l’égard des fils de famille, ce que l’on appelloit adrogation à l’égard d’un fils de famille ; un romain qui adoptoit ainsi un enfant, l’enveloppoit de son manteau, & l’on tient que c’est de-là qu’a été imitée la coutume qui s’observe parmi nous de mettre sous le poile les enfans nés avant le mariage.

L’empereur Anastase craignant que la facilité de légitimer ainsi ses bâtards, ne fût une voie ouverte à la licence, ordonna qu’à l’avenir cela n’auroit lieu que quand il n’y auroit point d’enfans légitimes vivans, nés avant l’adoption des bâtards.

Cette premiere forme de légitimation fut depuis abrogée par l’empereur Justinien, comme on le voit dans la novelle 89.

Mais Constantin le grand & ses successeurs introduisirent plusieurs autres manieres de légitimer les bâtards.

On voit par la loi 1re, au code de naturalibus liberis, qui est de l’empereur Constantin, & par la loi 5 du même titre, qu’il y avoit du tems de cet empereur trois autres formes de légitimation ; la loi 1re en indique deux.

L’une qui étoit faite proprio judicio, du pere naturel, c’est-à dire, lorsque dans quelqu’acte public ou écrit de sa main, & muni de la signature de trois témoins dignes de foi, ou dans un testament ou dans quelqu’acte judiciaire, il traitoit son bâtard d’enfant légitime ou de son enfant simplement, sans ajouter la qualité d’enfant naturel, comme il est dit dans la novelle 117, cap. ij ; on supposoit dans ce cas qu’il y avoit eu un mariage valable, & l’on n’en exigeoit pas d’autre preuve. Cette légitimation donnoit aux enfans naturels tous les droits des enfans légitimes, il suffisoit même que le pere eût rendu ce témoignage à un de ses enfans naturels, pour légitimer aussi tous les autres enfans qu’il avoit eu de la même femme, le tout pourvu que ce fût une personne libre, & avec laquelle le pere auroit pu contracter mariage. Cette maniere de légitimer n’a point lieu parmi nous ; la déclaration du pere feroit bien une présomption pour l’état de l’enfant ; mais il faut d’autres preuves du mariage, ou que l’enfant soit en possession d’être reconnu pour légitime.

L’autre sorte de légitimation dont la même loi fait mention, est celle qui se fait per rescriptum principis, c’est-à-dire, par lettres du prince, comme cela se pratique encore parmi nous.

La loi 5 qui est de l’empereur Zenon, en renouvellant une constitution de l’empereur Constantin, ordonne que si un homme n’ayant point de femme légitime, ni d’enfans nés en légitime mariage, épouse sa concubine ingenue dont il a eu des enfans avant le mariage, ces enfans seront légitimés par le mariage subséquent : mais que ceux qui n’auroient point d’enfans de leur concubine, nés avant la publication de cette loi, ne jouiront pas du même privilege, leur étant libre de commencer par épouser leur concubine, & par ce moyen d’avoir des enfans légitimes.

Cette forme de légitimation ne devoit, comme on voit, avoir lieu qu’en faveur des enfans nés avant la publication de cette loi ; mais Justinien leur donna plus d’étendue par sa novelle 89, cap. ij. où il semble annoncer cette forme de légitimation par mariage subséquent, comme s’il en étoit l’auteur, quoique