Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/110

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tout à fait singulier ; tantôt la mélodie était grave et pleine de majesté, tantôt légère et folâtre ; dans un instant il imitait la basse, dans un autre une partie du dessus, il m’indiquait de ses bras et de son cou allongé les endroits des tenues, et s’exécutait, se composait à lui-même un chant de triomphe, où l’on voyait qu’il s’entendait mieux en bonne musique qu’en bonnes mœurs.

Je ne savais, moi, si je devais rester ou fuir, rire ou m’indigner ; je restai, dans le dessein de tourner la conversation sur quelque sujet qui chassât de mon âme l’horreur dont elle était remplie. Je commençais à supporter avec peine la présence d’un homme qui discutait une action horrible, un exécrable forfait, comme un connaisseur en peinture ou en poésie examine les beautés d’un ouvrage de goût, ou comme un moraliste ou un historien relève et fait éclater les circonstances d’une action héroïque. Je devins sombre malgré moi ; il s’en aperçut, et me dit :

— Qu’avez-vous ? Est-ce que vous vous trouvez mal ?

MOI. — Un peu, mais cela passera.