Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/116

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Ils disent que tout est perdu, qu’ils sont ruinés, et que si l’on tolère plus longtemps cette canaille chantante de la foire, la musique nationale est au diable, et que, l’Académie royale du cul-de-sac n’a qu’à fermer boutique. Il y a bien quelque chose de vrai là-dedans. Les vieilles perruques qui viennent là, depuis trente à quarante ans, tous les vendredis, au lieu de s’amuser comme ils ont fait par le passé, s’ennuient et bâillent sans trop savoir pourquoi ; ils se le demandent et ne sauraient se répondre. Que ne s’adressent-ils à moi ? La prédiction de Duni s’accomplira ; et, du train que cela prend, je veux mourir si dans quatre ou cinq ans, à dater du Peintre amoureux de son modèle, il y a un chat à ferrer dans la célèbre impasse. Les bonnes gens ! ils ont renoncé à leurs symphonies pour jouer des symphonies italiennes. Ils ont cru qu’ils feraient leurs oreilles à celle-ci, sans conséquence pour leur musique vocale ; comme si la symphonie n’était pas au chant, à un peu de libertinage près inspiré par l’étendue de l’instrument et la mobilité des doigts, ce que le chant est à la déclamation réelle ; comme si le violon n’était pas le singe du chanteur, qui deviendra un jour,