Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/139

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rendre les plus beaux endroits des grands maîtres, avec l’enthousiasme qu’ils vous inspirent et que vous transmettez aux autres, vous n’ayez rien fait qui vaille…

Au lieu de me répondre, il se mit à hocher de la tête, et, levant le doigt au ciel, il s’écria : « Et l’astre ! l’astre ! Quand la nature fit Leo, Vinci, Pergolèse, Duni, elle sourit ; elle prit un air imposant et grave en formant le cher maître… qu’on aura appelé pendant une dizaine d’années le grand maître…, et dont bientôt on ne parlera plus. Quand elle fagota son élève, elle fit la grimace, et puis la grimace encore… » Et en disant ces mots il faisait toutes sortes de grimaces du visage : c’était le mépris, le dédain, l’ironie ; et il semblait pétrir entre ses doigts un morceau de pâte, et sourire aux formes ridicules qu’il lui donnait ; cela fait, il jeta la pagode hétéroclite loin de lui et il dit : « C’est ainsi qu’elle me fit, et qu’elle me jeta à côté d’autres pagodes, les unes à gros ventres ratatinés, à cous courts, à gros yeux hors de la tête, apoplectiques ; d’autres à cous obliques ; il y en avait de sèches, à l’œil vif, au nez crochu. Toutes se mirent à crever de rire en me voyant ; et moi de mettre mes deux poings