Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/149

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l’attitude d’un homme qui tient un violon, serrant des cordes à tour de bras, à celle d’un pauvre diable exténué de fatigue, à qui les forces manquent, à qui les jambes fléchissent, prêt à expirer, si on ne lui jette un morceau de pain ; il désignait son extrême besoin par le geste d’un doigt dirigé vers sa bouche entr’ouverte ; puis il ajouta : )

Cela s’entend. On me jetait le lopin ; nous nous le disputions à trois ou quatre affamés que nous étions… Et puis pensez grandement, faites de belles choses au milieu d’une pareille détresse !

MOI. — Cela est difficile.

LUI. — De cascade en cascade, j’étais tombé là ; j’y étais comme un coq en pâte. J’en suis sorti. Il faudra derechef scier le boyau, et revenir au geste du doigt vers la bouche béante. Rien de stable dans ce monde ; aujourd’hui au sommet, demain au bas de la roue. De maudites circonstances nous mènent, et nous mènent fort mal…

(Puis, buvant un coup qui restait au fond de la bouteille, et s’adressant à son voisin : )

Monsieur, par charité, une petite prise. Vous avez là une belle boîte. Vous n’êtes pas musicien ?