Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/73

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MOI. — Non ; il faut convenir que vous avez porté le talent de faire le fou et de s’avilir aussi loin qu’il est possible.

LUI. — Ils auront beau faire, tous tant qu’ils sont, ils n’en viendront jamais là ; le meilleur d’entre eux, Palissot, par exemple, ne sera jamais qu’un bon écolier. Mais si ce rôle amuse d’abord, et si l’on goûte quelque plaisir à se moquer en dedans de la bêtise de ceux qu’on enivre, à la longue cela ne pique plus, et puis après un certain nombre de découvertes on est obligé de se répéter : l’esprit et l’art ont leurs limites ; il n’y a que Dieu et quelques génies rares pour qui la carrière s’étende à mesure qu’ils y avancent. Bouret en est un peut-être : il y a de celui-ci des traits qui m’en donnent à moi, oui, à moi-même, la plus sublime idée. Le petit chien, le livre de la félicité, les flambeaux sur la route de Versailles, sont de ces choses qui me confondent et m’humilient ; ce serait capable de dégoûter du métier.

MOI. — Que voulez-vous dire avec votre petit chien ?

LUI. — D’où venez-vous donc ? Quoi ! sérieusement, vous ignorez comment cet homme rare