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DIODORE DE SICILE.

lieu en été, il est manifeste que l’hiver existe alors dans des climats opposés aux nôtres, et que l’excédant des eaux de ces régions est versé sur notre continent. On conçoit que personne ne peut visiter les sources du Nil, puisque ce fleuve, sorti de la zone opposée, traverse la zone intermédiaire, qui est inhabitable. Ils apportent encore à l’appui de leur assertion l’extrême douceur des eaux du Nil ; ces eaux éprouvent une sorte de digestion pendant qu’elles coulent à travers ces régions brûlées ; et il est de la nature du feu de rendre toute eau douce[1]. Cette explication, donnée par les philosophes de Memphis, trouve une réfutation éclatante et toute prête dans l’absurdité d’admettre qu’un fleuve coule d’une terre opposée pour arriver sur la nôtre, surtout lorsqu’on considère que la terre est sphéroïdale. Et ceux qui, par leurs raisonnements, oseraient aller contre l’évidence, ne parviendraient jamais à changer la nature des choses. Ils ont, en effet, introduit un argument qu’ils regardent comme irréfragable, en plaçant entre les deux zones une contrée inhabitable ; ils croient par là échapper à toute objection sérieuse. Mais il faut qu’ils appuient leur opinion sur un témoignage irrécusable ou qu’ils confirment leurs démonstrations accordées d’avance. Comment le Nil aurait-il seul une pareille origine ? Il faudrait admettre la même chose pour les autres fleuves ; quant à la cause de la douceur des eaux, elle est tout à fait irrationnelle. Car si les eaux du Nil avaient été rendues douces par l’effet de la chaleur, elles ne seraient pas fécondantes et ne nourriraient pas de nombreuses espèces de poissons et d’autres animaux qui s’y trouvent ; attendu que toute eau qui a été altérée par le feu est entièrement impropre à nourrir des animaux[2]. Or, comme la nature du Nil

  1. Τοῦ πυρώδους πᾶν τὸ ὑγρὸν ἀπογλυϰαίνοντος… L’auteur fait ici évidemment allusion à la distillation. (C’est, en effet, par ce procédé que les eaux sont séparées des sels fixes qui les rendent amères. J’ai fait voir ailleurs (Histoire de la Chimie, t. I, p. 91, 195 et 317) que la distillation n’a pas été inventée par les Arabes, mais qu’elle était déjà connue des anciens. Aristote en parle en termes assez explicites (Météorologiques, II, 2).
  2. Πᾶν γὰρ ὕδωρ ὑπὸ τῆς πυρώδους φύσεως ἀλλοιθέν… Diodore exprime ici un fait de la plus exacte vérité, et qui prouve bien que les physiciens anciens ne se