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Auguste.

Oui, pour le pacha qui ne peut se passer de son favori.

Victor.

Et pour nous surtout, car enfin, cet ours était assez bonne personne ; il ne méritait peut-être pas la place importante qu’il occupait ; mais on ne peut pas dire qu’il ait abusé de sa faveur, et on ne peut lui reprocher aucune injustice, ni aucun acte arbitraire.

Auguste.

C’est bien vrai.

Victor.

Et puisqu’il faut absolument que le sultan ait un favori, sait-on qui lui succédera ?

Auguste.

Mais cette perte devrait vous effrayer moins que tout autre ; on sait combien vous êtes aimé du pacha ; parmi tous les esclaves, vous êtes le seul qui puissiez faire vos volontés ; il vous a donné une superbe bibliothèque… enfin, je crois que pour vous, il n’y a rien qui puisse vous attrister.

Victor.

Qu’oses-tu dire ?… Ne sais-tu pas combien je vis dans l’inquiétude ?… Écoute et comprends bien ma position. Il y a trois ans que mon oncle Tristapatte et son associé Lagingeole avaient décidé de visiter les cours étrangères pour y exhiber leurs nouveautés d’animaux savants ; je ne sais par quelle fatalité, mon oncle, qui pourtant est la bonté, même, décida que je partirais en avant pour Smyrne. J’étais doué ne quelques talents pour la musique et je baragouinais assez bien la langue turque ; on me fit donc embarquer à Marseille sur un bâtiment marchand ; pendant quelque temps la traversée paraissait devoir être heureuse, mais environ trois semaines après notre départ, une tempête affreuse s’éleva, et les vents étant contraires, nous fûmes jetés sur cette plage où abondent des corsaires, et je fus recueilli par des