Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/10

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enfoncé jusqu’aux oreilles, et Broucke, « le gars de ch’Nord » qui s’était taillé des molletières dans des rideaux de reps vert.

Seul Sulphart, par dignité, était resté à l’écart, juché sur un tonneau, où il épluchait des patates, avec l’air digne et absorbé qu’il prenait pour accomplir les actes les plus simples de l’existence. Grattant sa barbe de crin roux, il tourna négligemment la tête et regarda avec une indifférence affectée un des trois nouveaux, un jeune à l’air maussade, imberbe ou rasé, on ne savait pas, coiffé d’un beau képi de fantaisie et chargé d’une large musette de moleskine blanche.

— Il est tout bath, avec sa petite casquette à manger du mou, railla d’abord Sulphart à mi-voix.

Puis, comme l’autre déposait son barda, il découvrit la musette. Alors, il éclata.

— Hé vieux ! cria-t-il c’est exprès pour monter aux tranchées que tu t’es fait tailler ta gibecière ? Si des fois t’avais peur que les Boches ne te repèrent pas assez, tu pourrais peut-être emporter un petit drapeau et jouer de la trompette.

Le nouveau s’était redressé, vexé, un pli barrant son petit front têtu. Mais, tout de suite décontenancé par l’attitude railleuse de l’ancien, il détourna la tête et rougit. Le rouquin se contenta de ce succès flatteur. Il descendit de son trône et, pour montrer qu’il ne songeait pas à s’acharner sur un copain irresponsable, il haussa ses critiques jusqu’à l’autorité militaire, dont tous les actes, suivant lui, étaient dictés par la sottise et le désir évident de molester le soldat.

— J’dis pas ça pour toi, tu sais pas encore. Mais les autres enfifrés qui vous font passer les gamelles