Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/38

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bien, fiche-moi le camp, les autres marchent, tu marcheras… Et que je ne te voie pas traîner derrière ou gare le tourniquet !

À la halte, étendus derrière la ligne des faisceaux, les hommes se délassaient. Les nouveaux — le corps moins endurci — ne débouclaient même plus leur sac ; ils se couchaient sur le dos, le barda remonté sous la tête, comme un dur oreiller, et sentaient frémir la fatigue dans leurs jambes endolories.

— Sac au dos !

On repartait en clopinant. On ne riait plus, on parlait moins fort. Le régiment qui tout à l’heure emplissait la route poudreuse jusqu’au dos des coteaux, se perdait dans une buée légère. Bientôt on ne vit plus la tête du bataillon ; puis la compagnie elle-même ondula dans la brume. Le soir allait venir, on entrait dans du rêve. Les villages se reposaient, la journée terminée, et leur haleine agreste de bois brûlé montait des toits pointus.

On s’était battu en septembre dans ce pays, et, tout le long de la route, les croix au garde-à-vous s’alignaient, pour nous voir défiler.

Près d’un ruisseau, tout un cimetière était groupé ; sur chaque croix flottait un petit drapeau, de ces drapeaux d’enfant qu’on achète au bazar, et cela tout claquant donnait à ce champ de morts un air joyeux d’escadre en fête.

Sur le bord des fossés, leur file s’allongeait, croix de hasard, faites avec deux planches ou deux bâtons croisés. Parfois toute une section de morts sans nom, avec une seule croix pour les garder tous. « Soldats français tués au champ d’honneur », épelait le régi-