Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/49

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chy, étrangement fébrile, les poings serrés, chantonnait un air, pour montrer qu’il n’avait pas peur. Les oreilles s’habituent vite à ce roulant fracas. On les reconnaît tous, rien qu’à leur voix : le soixante-quinze qui claque rageur, file en miaulant et passe si vite qu’on le voit éclater quand on entend le départ ; le cent vingt essoufflé qu’on croirait trop las pour achever sa course ; le cent cinquante-cinq qui semble patiner sur des rails et les gros noirs, qui passent très haut, avec un bruit tranquille d’eau qu’on agite. Le vent, en dénouant les tourbillons épais, apportait jusqu’à nous une haleine de soufre, une forte odeur de poudre. Gilbert la respirait, à s’en saouler. Parfois, on entendait bien l’obus siffler, mais, cinq, dix secondes s’écoulaient, et il n’éclatait pas, tombé on ne sait où. Un murmure de déception s’élevait, un grognement de badauds trompés.

— Il a foiré…

Son quart à l’oreille comme un récepteur, le petit Belin jouait à l’artilleur.

— 4.800 mètres… Explosif… Tambour trois… Feu des deux pièces…

Le tir, d’abord bloqué devant le bois, s’était élargi sur toute la ligne ennemie et les panaches noirs et verts la bordaient à présent tout entière, comme une infernale allée d’arbres. Soudain, on crut voir des calots gris passer.

— Les Boches qui se barrent ! cria Vairon.

On se bouscula, on grimpa sur les sacs.

— Là, où ça vient de tomber.

Et les doigts désignaient l’endroit sous un dais vert haché d’éclairs. Tous les soldats des derniers renforts