Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/71

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Il faudra me faire couper ces cheveux-là… Prenez son nom, Morache.

Comme il nous tourne le dos, plusieurs copains se décoiffent furtivement, et, s’étant craché dans les mains, collent de leur mieux leurs cheveux rétifs. Malheureusement, le capitaine ne s’intéresse pas qu’aux cheveux. Il remarque tout : le bouton qui manque, le point de rouille au fusil, le brodequin mal graissé, la tache de boue sur la cartouchière ; et, la voix glaciale, il demande :

— Où vous êtes-vous sali comme ça ?

Quelle drôle de question !…

Ayant gourmandé Bréval, dont la cartouchière tient avec des ficelles, il s’arrête devant Sulphart. L’autre s’est raidi, talons joints, le regard fixe. Le capitaine l’examine un bon moment, puis :

— Il est joli, celui-là, raille-t-il.

Sulphart n’a pas bougé, pas même baissé les yeux. Les voisins le regardent de biais, avec des sourires en coulisse.

— Vous vous trouvez plus séduisant avec votre visière cassée, comme une casquette de voyou, ttt… ttt… C’est pour plaire aux filles ? Elles auraient du goût.

La joie des camarades fuse en petits rires serviles. Sulphart ne bronche toujours pas, la main gauche bien ouverte, la tête une idée renversée.

— Et ces cheveux ! Ma parole, il ne les a pas fait couper depuis le début de la campagne… Un pantalon déchiré, ttt…, ttt… de la boue aux souliers… Mauvaise tenue, très mauvaise tenue. Vous prendrez son nom, Morache : quatre jours de prison… Et qu’on lui coupe les cheveux, ttt… ttt… bien ras.