Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/87

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des marmites ; tant mieux pour elle, d’ailleurs : elle y a moins froid que dans son puits.

Tous ces racontars, toutes ces balivernes me reviennent à mesure en mémoire, et cela, peu à peu, me rend méfiant. J’écoute encore un instant Bouffioux, qui discute à présent l’attaque au point de vue purement stratégique et poliment, ne voulant pas le vexer, je lui demande :

— Dis donc, vieux, tu en es sûr, au moins ? Ça ne serait pas un tuyau de cuisine ?

Le maquignon tout suant s’est arrêté brusquement de discourir, une moitié de mot sur les lèvres, l’air stupéfait. J’ai dû le froisser. Il reste deux secondes bouche bée, trop indigné pour répondre. Puis il devient tout rouge, il va éclater…

Mais non, il se ressaisit. Il prend simplement une lippe méprisante, se penche, ramasse son plat et déclare avec une dignité d’apôtre outragé.

— Ça va bien, je suis un c…, tout ce que je vous ai dit c’est du bourrage de crâne. Seulement vous verrez, après-demain.

Il veut écarter les camarades pour s’en aller, mais les autres se serrent les coudes et, pour le retenir, lâchement ils me donnent tort.

— L’écoute pas… Dis-nous voir… C’est vrai que le troisième bataillon restera en réserve ?… Pourquoi celui-là plutôt qu’un autre ?… D’où qu’on sortira ?… Ce qu’on attaquera aussi le Bois Carré ?

Ils le retiennent à deux mains, comme des pauvres cramponnés à la robe de saint Vincent de Paul. Par pure bonté d’âme, Bouffioux consent tout de même à livrer ses derniers tuyaux, et, professant le pardon