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L’ACTION

Le germe de toutes ces passions bouillonnait, déjà, avec une ardeur créole, dans le cerveau et dans le cœur de cet adolescent que l’oncle breton attendait au débarqué du navire.

Ce tuteur apparaît, au travers des railleries de son neveu, comme un exemplaire achevé du bourgeois de ce temps-là : prudent, conservateur, ami du pouvoir, le type de « l’avoué pointilleux d’une petite ville. » On a conservé quelques-unes des lettres dans lesquelles cet oncle sévère écrivait aux parents de l’étudiant pour formuler, en termes chagrins ses observations sur le caractère et la conduite de « Charles » :

« Charles affecte un mépris sauvage pour tout ce que l’on est convenu de respecter dans la société. Il affiche, dans ses opinions politiques, une exagération blâmable : Charles est républicain ![1] »

Si inquiet que fut l’avoué dinanais, conservateur et bourgeois, en face des foucades de l’étudiant créole, républicain indépendant, tourmenté d’égalité — il ne pouvait se douter quelles profondes racines ces opinions avaient déjà plongées dans l’âme de son pupille.

En effet, tandis que tout enfant, il avait semblé sommeiller, étendu au bord du Bernica, parmi les fleurs tropicales, dans le cadre adoré de sa forêt bourbonnienne, ce n’était pas seulement à la Beauté, mais à la Justice, que déjà l’adolescent rêvait.

Emporté qu’il était, à de telles hauteurs, par les ardentes

    transigeances sur ce sujet. Rencontrant Napoléon dans l’œuvre d’Hugo, il le nomma : « … L’homme extraordinaire et néfaste aujourd’hui couché sous le dôme des Invalides, qui répandit — qu’il le voulut ou non — les idées révolutionnaires à travers l’Europe doublement conquise. »

  1. Le père de « Charles », nourri lui-même de l’Émile et tout imprégné du républicanisme et de l’anticléricalisme dans lesquelles il avait élevé son enfant, ne pouvait que l’approuver dans le fond de son cœur. Mais pour apaiser l’oncle irascible, seul soutien de son fils en Bretagne, il écrivait : « Le temps et les conseils viendront facilement à bout de son républicanisme. » Cf. Tiercelin : Revue des Deux Mondes, mars 1898.