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L’ACTION

jeune poète ressent pour ses frères plus humbles. Ces dispositions étaient plus que surprenantes chez un créole de ce temps-là[1].

Au moment même ou, pour le soulagement de son cœur, le jeune poète écrivait ces nouvelles, il était persuadé de son impuissance à faire partager ses sentiments à ceux qui l’entouraient. Il prenait le parti de se renfermer tous les jours davantage en soi-même. Il déconcertait les siens par sa froideur et il souffrait après cela de se sentir mal jugé :

« … Je parais un égoïste, alors que, tout au rebours, c’est l’oubli de ma propre individualité qui donne cette apparence mauvaise et misérable à mes actions ou plutôt à mon manque d’action.[2] »

En attendant la possibilité de passer à cette « action », dont il sentait sourdre en soi la nécessité prochaine, il fit appel à la poésie. Ce fut à elle qu’il confia son rêve, encore optimiste, dans l’avenir que réserve, aux hommes, l’intelligence de la fraternité et la pratique des lois éternelles. Il écrivit une suite de poèmes dont l’un, des plus caractéristiques, a pour titre : Méditation.


« Cesse ta morne plainte et songe, Humanité,
Que les temps sont prochains où de l’iniquité
Dans ton cœur douloureux et dans l’univers sombre,
Les rayons de bonheur s’en vont dissiper l’ombre… »


  1. Voici à titre d’exemple le portrait de ce Sacatove, le noir dont Leconte de Lisle a fait le héros d’une de ses nouvelles : « Sacatove était d’un naturel si doux et d’un caractère si gai, il s’habitua à parler créole avec tant de facilité que son maître le prit en amitié. Durant quatre années, il ne commit aucune faute qui pût lui mériter un châtiment quelconque. Son discernement et sa conduite exemplaires devinrent proverbiaux à dix lieues à la ronde. Son maître le fit Commandeur, malgré son jeune âge, et les nègres s’accoutumèrent à le considérer comme un supérieur naturel… » Démocratie Pacifique, juillet 1847.
  2. Lettre adressée en 1843 à son camarade de Rennes M. Rouffet.