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LE RÔLE DU POÈTE

plus malaisé pour lui de donner son se itiment sur la partie de l’œuvre de Victor Hugo qui prétend ressusciter l’histoire.

Une comparaison s’impose fatalement aux esprits entre la Légende des Siècles et les Poèmes Antiques et Barbares. Leconte de Lisle avait souvent souffert de l’injustice de certains parti-pris hugolâtres qui se plaisaient à l’écraser sous l’énormité de la gloire du maître. Il était sans doute d’avis que M. Brunetière avait raison lorsque le critique déclara, en pleine Sorbonne que : « … tout diffère dans les Poèmes Barbares et dans cette Légende des Siècles, à laquelle on les a si souvent comparés : l’inspiration, le dessin, la facture, le caractère, l’effet, la forme, et le fond, le style et l’idée, — et que s’il faut que l’un des deux poètes ait « imité » l’autre, c’est Victor Hugo, puisqu’il n’est venu qu’à la suite…[1] »

D’autre part, il suffit de méditer sur la formule dans laquelle Hugo a enfermé son œuvre historique pour sentir, combien la méthode et l’idéal historiques de Leconte de Lisle diffèrent, de ceux de l’auteur de la Légende des Siècles.

Exprimer l’humanité dans une espèce d’œuvre cyclique ; la peindre, successivement, simultanément, sous tous ses aspects : histoire, fable, philosophie, religion, science, — lesquels se résument en un seul et immense mouvement vers la lumière — voilà ce que Victor Hugo a tenté.

L’énormité d’un tel projet accable l’homme de génie qui veut soulever, sur son épaule, un poids si lourd. Leconte de Lisle était d’avis que Hugo ne prit jamais la peine, ni le temps, d’étudier les époques, les faits et les personnages, qu’il mettait en scène. On distingue un pli d’ironie au coin de sa bouche lorsque, le jour de sa Réception à l’Académie française, devant les trente-neuf immortels qui l’écou-

  1. F. Brunetière : L’évolution de la Poésie lyrique en France. Tome II.