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LES ORIGINES

veille dans l’esprit et le cœur d’un enfant de quinze ans.

« C’est tout d’abord grâce au hasard heureux d’être né dans un pays merveilleusement beau et à moitié sauvage, riche de végétations étranges, sous un ciel éblouissant, et surtout grâce à cet éternel premier amour, fait de désirs vagues et de timidités délicieuses. Cette sensibilité naissante d’un cœur et d’un corps vierges, attendrie par le sentiment inné de la nature, a suffi pour créer le poète que je suis devenu, si peu qu’il soit.

« La solitude d’une jeunesse privée de sympathies intellectuelles, l’immensité et la plainte incessante de la mer, le calme splendide de nos nuits, les rêves d’un cœur gonflé de tendresse, forcément silencieuses, ont fait croire longtemps que j’étais indifférent, et même étranger aux émotions que tous ont plus ou moins ressenties, quand, au contraire, j’étouffais du besoin de me répandre en larmes passionnées. J’en ai versé plus tard, en sachant par moi-même que les femmes nous plaignent volontiers des peines que d’autres femmes nous font endurer et jouissent de celles qu’elles mêmes nous infligent…

« Que vous dirai-je de plus à propos de moi ? Développez ces quelques lignes, usez de mes notes et vous écrirez une page psychologique que je serai reconnaissant et fier d’avoir suscitée… »

Leconte de Lisle.


Le présent livre désire répondre au vœu que le poète lui-même exprima. Pour le composer, on n’avait pas à rechercher une autre méthode que celle qui est indiquée par cette lettre, et qui se résume en quelques mots : on ne peut concevoir l’étude du caractère d’un homme — particulièrement d’un poète — en dehors des influences qui ont contribué à le former. De même faut-il que l’on recherche, avec précision, quelle influence cet artiste — maître, un jour, de sa poétique