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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Ce « lui » là, c’est le désir. Et sans doute, pour qu’il s’éveillât, il avait suffi, au jeune créole, de la vue de quelqu’une de ces belles quarteronnes de Bourbon qui s’en vont aux travaux des champs, la gorge découverte :


« … Ô Galathée, ô toi dont la joue et le sein
Sont fermes et luisants comme le vert raisin !…[1] »


Dans l’état d’émotion que de telles rencontres éveillent, le jeune poète est obligé d’avouer qu’il n’est pas tout esprit :


« Mon amour, confesse-t-il à un ami, n’est pas aussi réel que le vôtre ; cependant, croyez-le, il est des moments où j’éprouve la joie et même la souffrance d’une passion positive. J’ai mes instants de découragement et d’anéantissement aussi ; et somme toute, idéal ou réel, mon amour, si je m’y donnais sérieusement, aurait toutes les jouissances et toutes les douleurs de son positif émule[2]. »

C’est sans doute dans un de ces « instants » particuliers que Leconte de Lisle a écrit son poème Hylas. Qu’importe que ce bel adolescent, dont le poète se sent le frère, ne songe plus à la maison natale, qu’il a quittée pour toujours, ni à sa mère en pleurs ? Au fond des eaux transparentes les nymphes l’ont pris entre leurs bras, elles le réveillent en murmurant son nom à travers des baisers passionnés : « il aime et tout est oublié… »

De même, un autre jour, en une heure de trouble, où une passion traverse la vie du poète comme un orage, il lui arrivera d’écrire : « Les flammes du désir éclairs de nos nuages[3]. »

Mais ce ne sont que de courtes complaisances pour un vertige, qu’au fond, Leconte de Lisle désapprouve. Il le condamne au point que, dans l’édition définitive de ses œuvres,

  1. « Les Plaintes du Cyclope ». Poèmes Antiques.
  2. Lettres inédites adressées à Rouffet. Rennes, oct. 1838.
  3. « Les deux Amours ». Poèmes Barbares, 1re édition, 1862, chez Poulet -Malassis.