Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
LA CONCEPTION DE L’AMOUR

« Nul œil étincelant d’un amoureux désir,
               N’a vu sans ses voiles limpides,
               La nymphe au corps de neige… »


La naïade se croit seule, et, dans la paix de sa sûreté, elle découvre, pour la joie du bain, sa nudité charmante. Mais voici qu’un Aigipan s’est traîtreusement glissé entre les herbes, et la guette. Il sera puni par la fuite de celle qu’il a voulu troubler. Et, comme si le poète craignait que la leçon qu’il veut doriner ne soit pas assez claire, il ajoute à son poème une strophe, qui vient la comme une morale dans une fable de la Fontaine :


« Telle que la Naïade en ce bois écarté
               Dormant sous l’onde diaphane
Fuis toujours Tœil impur et la main du profane
               Lumière de l’âme, ô beauté… »


Une si pure théorie de l’amour devait conduire Leconte de Lisle à préférer la jeune fille à la femme. Dans ce choix, plus peut-être que dans aucun acte de sa vie, se révèle son atavisme breton : la poésie du Nord est là, en effet, tout entière pour témoigner que le sentiment du barde, comme du guerrier celtique, germain, Scandinave, se tourne vers les virginités vaporeuses et idéales, tandis que la passion des races méridionales poursuit celles dont la connaissance complète de l’amour a épanoui les séductions.

On a de lui une pièce de vers datée de sa vingtième année qui commence par ces mots :


« Poète, j’aime aussi, mais d’amour idéal,
Un jeune cœur voilé d’une ombre virginale.[1] »


Plus tard, dans Thestylis, Leconte de Lisle avouera Pattrait qu’il ressent pour les nymphes, « parce qu’elles n’ont pas ouvert leurs portes, closes au furtif hyménée »,

  1. Rennes, octobre 1838.