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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

puis, les yeux de Mme X… s’étaient ouverts sur l’incompatibilité profonde de leurs natures, et elle souffrait.

Mme X… passe, dans le souvenir de ses contemporains, avec le visage d’une charmeuse : elle a ces cheveux d’or qui donnent le vertige au poète ; une séduction est dans son regard, qui transforme son visage, dès qu’elle parle, « au point d’agir sur les femmes elles-mêmes et de lui attirer des amitiés dans un clan où elle aurait pu ne trouver que des rivales ». Pour épouser l’homme sans fortune qu’elle a choisi, elle a quitté la maison luxueuse de son père, et elle trouve moyen de donner une apparence qui plaît au modeste appartement où se réunissent les amis de son mari. Tous sont en coquetterie avec elle.

Mais une attitude de marivaudage superficiel ne correspondait point à la nature de Leconte de Lisle, ni aux sentiments que lui-même il pouvait inspirer.

Il semble, d’ailleurs, que le destin ait voulu mettre, une fois pour toutes, son cœur à l’épreuve, et l’obliger de choisir, entre les deux formes diverses, sous lesquelles il avait, depuis sa première jeunesse, envisagé l’amour, et l’idéal féminin.

À côté de Mme X… il rencontrait, dans ces réunions d’artistes, une jeune orpheline, quelque peu alliée de ses hôtes, dont la grâce captivante rappelait à Leconte de Lisle ces silhouettes de créoles qui avaient souri, à Bourbon, autour de son adolescence. Comme les tuteurs de la jeune fille étaient trop âgés et infirmes pour l’accompagner chez Mme X…, elle y venait seule, et, la soirée finie, quelques uns des familiers de la maison avaient la charge agréable de la reconduire jusqu’au quartier du Palais-Royal où elle habitait. Leconte de Lisle avait eu souvent l’occasion de traverser la Seine, au clair de lune, avec cette jolie enfant suspendue à son bras : on n’hésitait pas à la confier à sa réserve.

Ainsi il était placé entre deux attirances sentimentales : d’un côté, c’était cette jeune fille, qui lui rapportait la gaieté