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LA CONCEPTION DU DIVIN

et il dansera sur un seul pied, une danse inimitable, et il chantera des airs que personne ne peut chanter et il goûtera un plaisir ineffable, que personne ne peut goûter. »

Les exécuteurs du testament poétique de Leconte de Lisle, ont certainement obéi au désir du poète lorsque, dans les Derniers Poèmes publiés après la mort du Maître, ils ont placé en tête du volume : La Paix des Dieux qui s’inspire de cette prière indienne. C’est bien le point final mis à l’œuvre philosophique et religieuse de Leconte de Lisle.

Une fois de plus ; dans cette pièce de vers, le poète se transporte loin des vivants et des morts qu’il rencontre au-delà de l’Étendue ; il se laisse emporter par un démon ; il le supplie de le conduire « au Charnier des Dieux ». Il veut la voir, cette place, où les images spectrales d’espoir, de peur, de haine et de mystique amour, finissent de se dissoudre. Mais le spectre répond :


« C’est dans ton propre cœur qu’est le Charnier divin ! »


Et l’homme sent, en effet, que cette succession de Dieux, qui, à travers les âges et les races, ont incarné les épouvantes et les espoirs de l’humanité sont ensevelis en lui, et qu’ils continuent d’y agoniser, entassés les uns par-dessus les autres. C’est là, sans doute, pour le poète qui a si longuement vécu dans l’étude des mythes et dans la contemplation de toutes les idoles, une dernière occasion d’évoquer toutes ces divinités, qu’il a combattues comme un chevalier acharné contre les monstres — depuis Ammon-Râ, « ceint de funèbres linges » jusqu’au « blond Nazaréen » :


« … Christ, le Fils de la Vierge,
Qui pendait, tout sanglant, cloué, nu sur sa croix[1].


En passant par les princes de l’Harmonie « chers à la

  1. « La Paix des Dieux ». Derniers Poèmes, 1895.