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LA RELIGION

position avec la passion plastique de la beauté dont Leconte de Lisle est épris. C’est un sujet sur lequel il n’est jamais las de revenir. Il pense que depuis que les « dieux éphémères » se sont couchés pour mourir avec le monde ancien, « un air impur étreint le globe. « Les ennuis, spectres mélancoliques, planent « d’un vol pesant sur le monde aux abois. » Les joies de la jeunesse ne contiennent plus que cendre et vanité :


« … L’amour, l’amour est mort avec la volupté.
Nous avons renié la passion divine !…[1] »


Notre nuit est plus noire, le jour est plus loin que jamais. Le sage s’écrie : « Heureux les morts ! » il souhaite que la muette agonie de la terre épuisée ne se prolonge pas plus longtemps. Évidemment il y a de l’exagération poétique dans cet appel à la destruction totale, qui, à travers l’œuvre de Leconte de Lisle revient comme une obsession de glas. Lorsqu’il pense plus froidement et donne ses raisons, il apparaît, non plus comme un prophète qui maudit, mais comme un évolutionniste qui, à son heure, peut se montrer modéré, équitable, qui, a de la reconnaissance pour ce qui fut juste et grand, mais qui ne prétend pas prolonger sa gratitude ni son admiration, au-delà des services qu’une forme politique ou religieuse a pu rendre à l’histoire. C’est ainsi qu’il écrit ces lignes caractéristiques :

« Le Christianisme primitif a fait son œuvre, immense et admirable, recueillie et développée de siècle en siècle, par les grands hérésiarques, et qu’il nous est enfin donné de continuer, avec de nouvelles forces, avec une foi nouvelle, avec une science qu’ils ignoraient. Le principe évangélique contient un sublime pressentiment de la fraternité. Nous le sanctionnerons par le droit. Nous le réaliserons par la jus-

  1. « L’Anathème ». Poèmes Barbares.