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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Pourquoi refusais-tu, dans ton orgueil austère,
De soustraire le monde aux sinistres hasards ?
Pour fonder la Justice éternelle sur terre,
Que ne revêtais-tu la pourpre des Césars ?…[1] »


Le Christ devra entendre Rome lui affirmer que son Église n’a pas été bâtie sur les rêves mystiques, où il se complaisait, mais sur des réalités, sur les bases de force et de conquête que lui ont données les hommes de gouvernement, d’action :

 

« … Nous, tes héritiers tenaces, sans relâche,
De siècle en siècle, par la parole et par le feu,
Rusant avec le fort, terrifiant le lâche,
Du fils du Charpentier nous avons fait un Dieu
Ô Christ ! Et c’est ainsi que, réformant ton rêve,
Connaissant mieux que toi la vile humanité
Nous avons pris la Pourpre et les Clefs et le Glaive,
Et nous t’avons donné le monde épouvanté ![2] »


Il n’y a plus guère de place, dans une organisation si solidement humaine, pour le Jésus des douceurs évangéliques. Aussi le Pape demanda-t-il au Christ d’abandonner la terre à ceux qui la gouvernent, en son nom, par des moyens appropriés ; de retourner, lui-même, dans les hauts cieux mystiques ; d’y régner, en paix, jusqu’à l’épuisement des siècles.

Et le dernier mot, de la pensée de Leconte de Lisle, sur les destinées historiques du christianisme romain, tient dans ces trois vers où, définitivement, il fait dire à l’Église « son fait » au Christ, dans une folie d’orgueil où elle se découvre, non plus comme la Fille, mais comme la Monitrice de son Dieu :


« Laisse agir notre Foi. Ne nous interrompons plus !…
Grâce à nous pour jamais, tu resteras, ô Maître,
Un Dieu, le dernier Dieu que l’homme aura rêvé…[3] »

  1. « Les Raisons du Saint-Père ». Derniers Poèmes.
  2. Ibid.
  3. Ibid.