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LA CONCEPTION POLITIQUE

lettrée, passionnée sans frein pour une chimère inepte »[1] — ne pouvait même pas approcher.

Mais, lorsque les événements de 1870 et de 1871, ramenèrent, pour la troisième fois, l’avènement de la République, Leconte de Lisle sentit se réveiller dans son cœur toutes les espérances de sa première jeunesse. Il pensa que, cette fois, le terrain étant définitivement déblayé par le canon, l’heure était uniquement propice pour construire, sur les ruines effroyables de la guerre, le monde nouveau, cette société idéale de fraternité et de justice dont il avait eu la première vision dans son enfance, à travers la lecture de Jean-Jacques Rousseau. Il ne doutait point que l’étendue du désastre n’eut démontré à tous, ce qui était évident pour lui-même, à savoir : le danger d’une paresse intellectuelle qui s’en remet à d’autres — souverains, politiciens, généraux — du soin de la renseigner, et qui reçoit, sans critique, l’erreur fortuite, aussi bien que le mensonge volontaire.

Ce cri populaire : « C’est l’instituteur allemand qui nous a battus », était un encouragement, pour le poète philosophe, à rentrer dans la bataille politique, après tant d’années d’éclipse. Il pensait que les hommes de son état ont été créés pour être des éducateurs de foules. Il ne s’agissait donc pas de satisfaire à un goût, mais d’obéir à un devoir. L’heure était venue de proclamer, avec une chance unique d’être enfin entendu, les idées qui avaient été l’idéal de sa jeunesse et qui demeuraient la préoccupation de sa maturité.

Dans la certitude où il était que l’esprit de soumission, dont la religion catholique fait un devoir à ses fidèles, venait d’être battu, avec les routines de la stratégie française, par l’esprit luthérien du libre examen, il crut accomplir un acte de patriotisme opportun en attaquant, par exemple, le dogme nouveau de l’infaillibilité du Pape[2] . Il lui semblait

  1. Nain Jaune, 1864.
  2. Concile de Pie IX. L’infaillibilité du Pape a été proclamée par le Concile du Vatican en 1870.