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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

un seul instant, qu’une Raison, étrangère et supérieure à la Raison humaine, puisse modifier arbitrairement les lois immuables de la morale. »

Les idées absolues et révolutionnaires dont Leconte de Lisle vivait, ont, depuis quarante ans, poussé tant de branches, en tant de sens, que ce serait manquer à la mémoire du poète et mettre sa physionomie politique dans une menteuse pénombre, que de ne point dire combien son républicanisme fut étranger au rêve du socialisme intégral, et de l’internationalisme. Jamais il ne sépara, dans son amour, l’idée de la France et l’idée de la République. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire la correspondance, qu’entre le mois d’août 1870 et le mois de mai 1871, il expédiait, de Paris, où il était enfermé et assiégé[1].

Ces lettres précisent la qualité du patriotisme du poète, tout intellectuel et moral : il n’était ni un normand, ni un gascon, ni un limousin, sa patrie particulière, celle qu’il aimait comme l’oiseau chérit, avant l’arbre qui porte le nid, le nid lui-même, c’était l’Île lointaine et créole de Bourbon. Il se sentait donc, avec la province française, peu de liens et peu de sympathie. Dans une de ces lettres datée du 19 mars 1871, on lit :

« … Si le pays s’était levé tout entier comme il le devait, nous ne serions pas contraints d’accepter une paix déshonorante qui le mutile, le ruine et l’avilit. La province, qui n’a jamais eu aucune initiation intellectuelle ou politique, qui n’est et ne peut être, jusqu’à nouvel ordre, qu’un reflet et un écho, serait très mal venue de s’imaginer que Paris doit s’anéantir devant elle. Le cas échéant la France ne tarderait pas à s’endormir dans l’inertie et l’abêtissement. »

Pour lui, « la France » est réprésentée par ce Paris qu’il admire, qu’il aime et à qui, en une pièce de vers écrite au mi-

  1. Lettres adressées en grande partie à MM. Louis Ménard, Fouques et J. M. de Heredia.