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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

«… Sur le sable au loin, chante la mer divine.
Et des hautes forêts gémit la grande voix,
Et l’air sonore, aux cieux que la nuit illumine,
Porte le chant des mers et le soupir des bois…[1] »


Il y a des heures où il se laisse rouler tout au fond des siècles morts pour écouter, haletant, avec l’esprit d’un homme des premiers temps du monde, la descente terrible de la nuit définitive sur les murailles d’une des cités antédiluviennes élevées par les fils d’Énoch :


« … L’abîme de la nuit laisse, de toutes parts,
Suinter la terreur vague et sourdre l’épouvante,
En un rauque soupir sur le ciel morne épars…[2] »


Et c’est là l’impression dernière que, las d’avoir tant vibré au spectacle des choses, le poète gardera des heures où, l’âme recueillie, il a écouté l’écho des bruits vivants. Il affirmera, qu’au bout du compte, le murmure de tout ce qui est, finit en plainte :


« … Tout gémit, l’astre pleure et le mont se lamente,
Un soupir douloureux s’exhale des forêts,
Le désert va, roulant sa plainte et ses regrets,
La nuit sinistre, en proie au mal qui la tourmente,
Rugit comme un lion sous l’étreinte des rêts.[3] »


Dans son enfance, à l’île natale, Charles Leconte de Lisle avait ressenti, en face des alternatives de la lumière et de la nuit, tous les frissons d’un primitif.

Le premier culte de l’homme, comme le mouvement de tout ce qui est, ne se manifeste-t-il pas sous la forme d’un élan vers la lumière ? C’est que, après les disparitions angoissantes de l’ombre, il semble que la clarté recrée les for-

  1. « Nox ». Poèmes Antiques.
  2. « Qain ». Poèmes Barbares.
  3. Ibid.