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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

demeurer, a craint, de puiser à cette source d’émotion, si facile et si capiteuse que, ceux qui s’y désaltèrent, touchent les cœurs sans autre effort. Il eut, pour se taire, une raison plus profonde : la sincérité de son pessimisme. L’enfant — autant que l’amour, — lui apparaissait comme une illusion suprême ; peut-être même était-il pris d’une sourde colère en voyant l’humanité qui, à chaque pas de l’histoire, se plaint de porter le fardeau de la vie, se réjouir soudain, et se réveiller optimiste, parce qu’un petit enfant a souri, ou, pour la première fois, posé ses pieds sur la terre.

Plus que tout, cet amant de la mort éprouvait un trouble de pitié qui le faisait muet, devant cet être frêle qui, n’en est encore qu’au seuil de l’étape, et qui, lui aussi, aura à porter le poids des jours.

Ce goût surprenant que les hommes ont de vivre une vie reconnue mauvaise, Leconte de Lisle ne le nie point. Il s’en étonne, et il a trop de probité morale pour ne pas le noter. À cet égard, une pièce comme sa Prière védique pour les Morts, où il a comme concrétisé les doctrines indiennes, est un précieux renseignement.

Les amis du mort sont persuadés que ce corps, qu’ils touchent encore de leurs mains, sera rendu aux éléments qui l’avaient composé :


« … Voici l’heure : ton souffle au vent, ton œil au feu !
Ô Libation sainte, arrose sa poussière !
Qu’elle s’unisse à tout dans le temps et le lieu !…[1] »


Mais le mort lui-même n’est pas dans cette substance qui va être restituée à l’universelle nature ; ceux qui le confient à la terre croient qu’il subsistera « en un corps de lumière » — le corps radieux de la tradition chrétienne — dans « une portion vivante » qui va remonter, prendre « la forme immortelle d’un Dieu », siéger : « dans la splendeur du ciel »

  1. « Prière védique pour les Morts ». Poèmes Antiques.