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L’ÉVEIL DU POÈTE

de noter les douceurs de la naissance du soleil. Il assistera à son engloutissement dans de flamboyants décombres, dans des tourbillons d’ombre et de pourpre. Et le poète se réjouira : car, à cette minute, en attendant la mort, dont les destructions seront plus complètes encore, il assistera, avec l’agonie du soleil, à la disparition de ces apparences haïssables, trompeuses, illusoires, qui tentent l’homme, et qui, à certaines minutes, lui font croire à la réalité du monde extérieur.

Les étoiles et la lune tiennent moins de place que le soleil dans les contemplations de cet amant des grands contrastes de la lumière qu’est Leconte de Lisle. C’est à peine si, une fois, par hasard, après avoir regardé l’Orbe d’or s’enfoncer dans l’Océan indien il note qu’une étoile :


« … Jaillit du bleu noir de la nuit.
Toute vive, et palpite, en sa blancheur de perle…[1] »


Si épris de lumière, si hostile à tout ce qui est baigné, forme ou idée, d’une clarté incertaine, il ne parle guère de la lune avec tendresse. C’est là un culte qu’il laisse aux cerveaux nuageux des gens du Nord, amoureux de contours vagues. L’astre de la nuit est pour lui « la lune froide » qui, sur la lividité du ciel découpe des silhouettes obscures. Il la nomme « un monde difforme, abrupt, laid » ; le « spectre monstrueux d’un univers détruit » ; un « enfer pétrifié. » Il ne lui donne à éclairer que les épouvantes de la vie animale où, dans les ténèbres, le plus faible devient la proie du plus fort. Le seul sentiment qu’elle lui inspire est, si on peut dire, une espèce d’estime philosophique : c’est qu’elle lui apparaît comme une preuve nouvelle de la destruction successive des mondes, de l’anéantissement qui menace la terre, ainsi que les autres planètes : « la terre, qui rêve, et veille encore… »

  1. « L’Orbe d’or ». Poèmes Tragiques.