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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

toutes fraîches, presque naïves, et que le penseur austère, érudit, âpre et farouche des Poèmes Tragiques était, en même temps, un des causeurs les plus brillants, les plus délicats, les plus spirituels de Paris. Cette formalité des visites, que la fierté du poète avait tant redoutée, s’accomplit donc avec une aisance à laquelle il était loin de s’attendre[1].

La première conséquence de la gloire, désormais consacrée du poète, fut la réconciliation du vieil anti-esclavagiste, devenu Académicien, avec ses cousins créoles, avec les sœurs de cette belle dédaigneuse que, l’auteur du Manchy, avait ensevelie dans son cœur. On trouve, en effet, dans le portefeuille où le poète avait groupé les documents, qui avaient trait à son élection, des lettres que, sûrement, il avait gardées avec un sourire d’indulgente amertume. L’une d’elles, datée de Saint-Denis de Bourbon, est signée : « Cécile de Lanux, fille de votre oncle Frederick.[2] »

Un autre document de même style vient à la même date, de l’Île de Sainte-Marie de Madagascar. Le président Schneider, qui se déclare neveu d’un camarade d’enfance, félicite son illustre compatriote, au nom de tous les enfants de Saint-Paul : « de votre vieux Quartier qui tressaille d’orgueil et de bonheur ». Il est vrai que cet administrateur passionné

  1. « J’ai presque terminé mes visites, écrivait-il à un familier, et je n’ai qu’à me louer de l’accueil que j’ai reçu partout, les Académiciens que j’ai vus ont tous été pour moi d’une parfaite gracieuseté, et ceux-là mêmes dont les idées philosophiques sont contraires aux miennes se sont montrés aussi aimables que les autres. »
  2. Voici un fragment de cette lettre : « Je ne veux pas être la dernière, mon cher cousin, à vous témoigner toute ma sympathie, la chose eût été déjà faite et m’aurait même coûté, sans cette indifférence dans laquelle on nous a laissé grandir et vieillir pour ceux qui nous sont unis par les liens du sang. Je la déplore et je veux y remédier ; l’occasion se présente, je la saisis, sans me demander si ce n’est pas une témérité. Enfant, je contemplais avec plaisir la photographie de mon cousin « le poète » et je disais à ma chère et regrettée maman : « Pourquoi ne le connaissons-nous pas ? » Vous me trouverez peut-être étrange, mais qu’importe, j’obéis à un sentiment irrésistible ». 11 mai 1886.