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L’HOMME

d’autorité. C’est ainsi que, entre les grandes clartés qui illuminent l’histoire, le poète évoque le Moyen Âge comme un abîme d’ombre ; le XVIIe siècle est une lande ingrate, que la poésie lyrique traverse comme une épreuve. Enfin, avec l’afranchissement philosophique du XVIIIe siècle, la poésie recommence à gravir la montagne au sommet de laquelle, au-dessus des éclairs de la glorieuse tempête de la Révolution, le chant de Victor Hugo pourra éclater et se faire entendre jusqu’au bout du monde.

Et l’orateur montre le poète, ébloui par tous les mirages, traversant toutes les conventions ; toutes les indécisions — admiration de « l’homme nélaste couché aujourd’hui sous le dôme des Invalides » ; illusions royalistes reparues après la chute de l’Empire ; résurrection pittoresque du Catholicisme — pour s’élever, en une ascension toujours plus éclatante, jusqu’à cet amour de la Justice, cette passion de la Liberté qui rayonnent, dans la seconde partie, « la plus magnifique », de l’œuvre de Victor Hugo.

Leconte de Lisle n’ignore point que ses paroles vont choquer, dans son auditoire, ceux qui ne se contentent pas de voir, en Napoléon Ier : « le semeur des idées révolutionnaires à travers l’Europe, doublement conquise. » Il sait que sa tirade, sur les noires années du Moyen Âge, qu’il nomme : « années d’abominables barbaries, avilissant les esprits par la recrudescence des plus ineptes superstitions, par l’atrocité des mœurs et la tyrannie sanglante du fanatisme religieux » — est faite pour lui aliéner, dans l’assemblée, beaucoup d’esprits. Mais il juge, que, puisque l’occasion lui est offerte de dire, cette fois, en public, sa pensée entière, il se doit à soi-même, et il doit à sa sincère passion de la poésie, à son admiration de la beauté absolue, de ne rien ménager de ce qu’il croit être la vérité.

Au nom de cette « vérité », Leconte de Lisle a admiré, dans Hugo — après « le grammairien impeccable » — le « poète sublime, l’irréprochable artiste qui sut forger des vers