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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Leconte de Lisle et sur sa pensée profonde. Une espèce d’allégresse se manifesta en lui, comme si, à la fin, son âme était allégée du fardeau, trop lourd, sous lequel, si longtemps, elle avait ployé. Ce fut, en lui, comme un renouveau de vie, une explosion de jeunesse, qui paraissait rendre des forces à son invention, de la souplesse à sa noble stature, de la lumière à son visage.

Comment ne point se remémorer, devant cette glorieuse métamorphose, le beau vers par lesquel Sully Prudhomme clôt ses Solitudes :


« Chacun meurt comme il est, sincère à l’improviste »


Avant la mort, cette finale sincérité monta au front de Leconte de Lisle. Elle détendit, ce qu’il y avait encore d’angoisse, figée dans les lignes de son masque. Elle illumina, pour lui, cette certitude, éblouissante chez ceux qui vécurent stoïques, que, le devoir ayant été accompli dans son entier, ils ont désormais le droit de s’asseoir et de se rafraîchir, au dernier souffle de leur crépuscule.

De ces jours heureux, date la série de ces dix pièces grecques : Les Hymnes Orphiques[1], qui ne parut qu’après la mort du poète et où, une dernière fois, avec une verve juvénile, il exalte et salue ces « Visions divines » qu’il a tant adorées.

Certes, Leconte de Lisle parlait bien encore, comme d’une menace de vieux Titan qui ne veut point désarmer, d’achever, un jour, ce poème : Les États du Diable[2] où Borgia serait évoqué, pour la confusion des ennemis de la vérité. Mais la plume lui tombait des mains, quand il voulait se remettre à ce qui n’était plus pour lui, désormais, qu’un exercice de rhétorique.

C’est, qu’à cette minute, la pensée que la vie « n’est qu’un accident sombre entre deux sommeils infinis » ne s’imposait plus au poète avec l’impérieuse certitude d’une proposition

  1. Derniers Poèmes, 1895.
  2. « Fragment ». Derniers Poèmes, 1895.