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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

pour monter, vers l’Inconnu, plus haut que le reste des hommes ? Après avoir tant cru à la vertu de ce don unique, il était forcé d’en reconnaître la vanité. Il lui fallait s’avouer, qu’au bout du compte et dans ce qui est essentiel, il avait été, lui, le poète, le chercheur d’absolu, peu différent du troupeau humain. Le sacrifice de l’orgueil, des témérités anciennes, est fait ici, total. Et, si aucune affirmation ne se précise, si un point d’interrogation subsiste, à la fin de cette pièce, entre toutes saisissante, on peut dire que, passionné comme il l’était pour la Beauté et la Vérité, affranchi d’autre part, de toute crainte d’outre-tombe, non seulement, à la veille de la mort, Leconte de Lisle ne redouta pas les chances de la survie, mais peut-être, il les souhaita.

En effet, jusqu’à sa dernière heure, il se sentit brûlé par cette soif inextinguible de Connaissance et d’Amour qui, dans la pleine force de sa jeunesse et de sa pensée, lui avait arraché ce cri :


« J’ai vécu, l’œil fixé sur la source de l’Être,
Et j’ai laissé mourir mon cœur, pour mieux Connaître…[1] »


Le vers qui clôt la pièce : In Excelsis, répond à ces nobles inquiétudes en même temps qu’à notre désir de pénétrer, dans son tréfond, le secret de cette âme profonde :


« Lumière, où donc es-tu ? Peut-être dans la mort. »


Cette lumière, suprêmement invoquée, luit, au milieu des ténèbres du pessimisme et des négations où, toute sa vie le poète a marché, pareille à cette première étoile qui, chaque soir, jaillit et palpite au ciel, entre la chute du jour et la montée de la nuit[2].

Louveciennes, Juillet 1903 — Octobre 1908.
  1. « Bhagavat ». Poèmes Antiques.
  2. Charles Leconte de Lisle est mort, d’une pneumonie, à l’âge de 76 ans, le mardi 17 juillet 1894, à 7 heures du soir, au Pavillon de