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L’ÉVEIL DU POÈTE

bonienne, sur la glorieuse arrête du Liban afin de le montrer baigné de la « flamme occidentale » qui :


« … Par flots rouges, s’enflant de parois en parois,
Inonde les rochers qu’elle allume, et s’étale
Sur les cèdres anciens, immobiles et droits…[1] »


Leconte de Lisle n’aurait pas eu besoin de pousser, comme il l’a fait, jusqu’aux Indes, à Java et aux îles de la Sonde, pour emmagasiner dans ses yeux, les sensations de la forêt vierge : la montagne natale lui fournissait le paysage touffu dont il avait besoin pour encadrer son œuvre indienne, aussi bien que les lignes sèches et brillantes dont il devait faire un fond à ses mythologies grecques.

On ne saurait dire s’il préféra l’une de ces visions à l’autre, épris qu’il fut, tour à tour et simultanément, d’ordre dans les lignes et d’orgie dans la couleur. Le fait est que la forêt vierge le passionnait par le fourmillement des vies anonymes qu’elle enferme. Il voyait en elle le symbole même de cette nature, perpétuellement créatrice et destructrice, qu’avec les sages de l’Inde, il considérait comme la vraie image de la Divinité. Il a chanté, les litanies de cette forêt sans fond, avec une inépuisable exaltation d’amour. Elle est, pour lui, « une sombre mer qu’enfle un soupir immense » ; la « mère des lions » ; « l’indomptable, qui a toujours reverdi ». Il a sondé, d’un œil ravi, les profondeurs sublimes de ses arceaux de feuillage, et ses grandes ombres entourées de lumière. Il s’est enivré de son horreur ineffable ; il a écouté le rugissement qui, toujours, s’est exhalé de son sein. Et combien, il la préfère à ce roi des derniers jours destructeur des bois, à « l’homme au pâle visage ». Il est chez lui, chez elle, dans ce royaume de fécondité triomphante, où les êtres humains n’ont rien nommé, où les fleuves monstrueux, débor-

  1. « Apothéose de Monça-Al-Kébir ». Poèmes Tragiques.