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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

était si chère, pour y trouver la vie des animaux sans cesse associée à celle des héros divins. N’est-ce pas « l’Armée des Singes » qui délivre le dieu Siva ? Et, quand Siva est enlevé, n’est-ce pas le « Roi des Vautours » qui lui vient en aide ? Le Livre de la Jungle de Rudyard Kipling n’est qu’un intéressant résumé, « ad usum delphini », de ces pittoresques peintures du Ramayana.

Brunetière, qui avait une admiration spéciale pour cette partie de l’œuvre poétique de Leconte de Lisle où il peint les mœurs des animaux, écrivait à ce sujet : « L’animal est un frère inférieur de l’humanité ; dans son cerveau rudimentaire, aux circonvolutions rares, peu profondes, encore embrumées d’inconscience, il s’accomplit des mouvements, lesquels sont obscurément analogues aux nôtres, et comme nous avons de ses instincts, de ses appétits et de ses passions, il a, lui, de nos teneurs, de nos angoisses, de nos désespoirs peut-être ! Dans l’animal et dans l’homme, c’est la même nature qui se manifeste, ou plutôt qui se joue, qui s’incarne un moment, dans une forme d’un jour, qui la reprend ensuite pour la faire servir à d’autres usages…[1] »

Nul, plus que Leconte de Lisle, n’a été conscient de ces ressemblances fraternelles. Il n’a pas voulu, dans l’occasion, être simplement un artiste qui contemple, avec passion, de beaux mouvements aperçus et décrits du dehors. Son ambition est d’atteindre la « psychologie » de ces animaux qu’il décrit[2].

  1. L’évolution de la Poésie lyrique en France.
  2. Louis Ménard écrit à ce propos : « Non content, de faire vivre, dans ses vers, les types les plus variés des sociétés humaines, Leconte de Lisle a voulu traduire la pensée mystérieuse de nos frères inférieurs les animaux. À quoi peuvent rêver les éléphants voyageurs dans les déserts de l’Afrique ? le tigre dans la jungle ? les chiens sauvages du Cap, qui hurlent à la lune ? Et le condor qui plane au-dessus des pics des Andes ? Et l’albatros dans la tempête ? Et le requin au fond des mers ? Cette galerie zoologique est une des parties les plus originales de son œuvre. Au rebours des fabulistes qui prêtent