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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

se perdre dans l’étude, d’y noyer son chagrin et ses déceptions. De plus, il voudrait révéler, avec de beaux accents, aux frères de sa misère intellectuelle et morale, cette religion de l’impassibilité, dans laquelle lui-même il rêve de se réfugier.

Le poète ne se fait aucune illusion sur le succès qu’une telle tentative peut obtenir auprès du grand public. Dès 1852, il écrit : « Mon poème de Bhagavat indique une voie nouvelle… J’ai tenté d’y reproduire, au sein de la nature excessive et mystérieuse de l’Inde, le caractère métaphysique et mystique des Ascètes viçnuïstes, en insistant sur le lien étroit qui les rattache aux dogmes bouddhistes… Ces poèmes, il faut s’y résigner, seront peu goûtés et peu appréciés. Des sympathies désirables leur feront défaut : celles des âmes impressionnables qui ne demandent à l’art que le souvenir ou le pressentiment des émotions regrettées ou rêvées. Un tel renoncement à bien ses amertumes secrètes ; mais la destinée de l’intelligence doit l’emporter, et si la Poésie est souvent une expiation, le supplice est toujours sacré…[1] »

Cette probité morale de l’artiste a tout de même été récompensée. Des savants techniques ont rendu hommage au désir que Leconte de Lisle eut, d’atteindre la vérité historique, et de la vivifier ensuite pour nous la rapporter, renouvelée au contact de son génie[2].

  1. Préface des Poèmes et Poésies. Marc Ducloux, éditeur. Paris, 1852.
  2. Au nombre de ces travaux qui accompagnent l’œuvre du poète comme un commentaire fidèle, il faut, en tout premier lieu, citer le livre de M. Joseph Vianey, professeur à la faculté de lettres de Montpellier : Les Sources de Leconte de Lisle. La thèse de M. Vianey n’est pas seulement une précieuse mise au point de la valeur des documents auxquels le poète a recouru pour établir ses principaux poèmes indiens, égyptiens, Scandinaves, finnois, celtiques, espagnols, bibliques, exotiques, grecs et latins, — elle dégage, avec une sûreté de renseignements et une ingéniosité remarquables, la méthode par laquelle le poète ranime, constamment, les cendres d’érudition qu’il recueille pour en faire de la clarté. Enfin, elle nous fait connaître que presque toujours les erreurs de critique historique où Leconte de Lisle glisse