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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

L’Inde n’a pas la ligne, elle a la couleur : Leconte de Lisle la lui emprunte avec passion. Lui, qui moulera la plas tique grecque dans des mots aussi rigides, aussi purs, aussi éclatants que le marbre, il prend ici une joie d’enfant à peindre des fonds et des images bariolés, comme ces toiles de couleurs vives sur lesquelles l’art hindou jette tous les objets pêle mêle, sans souci de leurs proportions vraies, en parfait dédain de la perspective — pour le pur divertissement. C’est ainsi qu’il fait passer, sous nos yeux, dans ses poèmes indiens : des verts figuiers, de rouges érables, des parasols roses, des perles et des fleurs :


« … Parmi les coqs guerriers, les paons, aux belles queues
Et les riches oiseaux, lissant leurs plumes bleues… »


S’il s’agit, de mettre en présence, non plus des arbres des animaux, mais des Dieux et des Sages, des Idées religieuses et des Idées philosophiques, le procédé de l’artiste ne varie point. Il semble vouloir dérouter le lecteur vulgaire, celui qui ne fait pas l’effort qu’il faut, pour pénétrer le sens des mythes. Il n’a donc pas voulu écarter de ses poèmes hindous, toutes les difficultés extérieures : il y a laissé subsister la demi obscurité dans le plein jour. Cependant, lorsqu’on y regarde de près, quand on compare l’œuvre de Leconte de Lisle a celle de ses modèles, il faut reconnaître qu’il a agi avec une information ample, avec une habileté consommée, surtout, avec la perpétuelle préoccupation d’apporter, dans ces œuvres d’art les qualités d’ordre, de netteté, en un mot, de cette clarté, qui est, si on peut dire l’empreinte de l’esprit moderne.

C’est à ce titre, que son poème de Çunacepa est infiniment intéressant à rapprocher de ses sources. N’a-t-on pas constaté, plus haut, que, dans un sonnet : Le Combat homérique Leconte de Lisle s’est efforcé d’enfermer, en quatorze vers, ce que l’on pourrait nommer, l’esprit de l’Iliade ? De même dans cette pièce de Çunacepa a-t-il résumé