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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

« Ils s’unirent tous trois à l’Essence première,
Le principe et la fin, erreur et vérité,
Abîme de néant et de réalité
Qu’enveloppe à jamais de sa flamme féconde
L’invisible Mâyâ, créatrice du monde,
Espoir et souvenir, le rêve et la raison,
L’unique, l’éternelle et sainte Illusion.[1] »


Sans doute, c’est une excellente discipline philosophique que de se détacher de « l’Illusion » pour se perdre dans « l’Essence primitive » des choses, et que de se débarrasser du fardeau du « moi » pour s’abîmer dans le « Grand Tout. » Il est cependant une question dernière que l’être accidentel qu’est l’homme, se pose, avec une naturelle angoisse, au moment où, volontairement ou non, il va faire naufrage dans le sein de l’Être Unique, perpétuellement permanent. Il veut être édifié sur la solution de ce triple problème : « Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Quelle est ta fin  »

L’homme pose la question ; mais il n’a pas le temps d’attendre la réponse. Déjà le voilà anéanti. Ce sera donc le Grand Tout — dans l’espèce Brahma — qui reprendra, à son compte, cette interrogation, et descendra en soi-même pour tâcher d’y découvrir le secret de son Origine, de son Être, de sa Destinée. Cette triple interrogation est le sujet de la Vision de Brahma :


« Tandis qu’enveloppé des ténèbres premières,
Brahma cherchait en soi l’origine et la fin ;
La Mâyâ le couvrit de son réseau divin,
Et son cœur sombre et froid se fondit en lumières…[2] »


Comme Brahma est, ainsi qu’il a été dit, le « Grand Tout », l’Inde va retrouver en lui sa pensée totale. Il contient en soi toutes les apparences du bien et toutes celles du

  1. « Bhagavat ». Poèmes Antiques.
  2. « La Vision de Bhrama ». Poèmes Antiques.