Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/162

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d’État. Enchantés de nous retrouver, nous causions. Dans la loge voisine, trois dames étaient assises, celle de gauche était laide à faire peur… J’ai su depuis que c’était une excellente femme, une mère de famille et qu’elle avait rendu son mari très heureux… Moi, comme un imbécile, je dis à Korsoukhov : « Dis donc, mon cher, connais-tu cet épouvantail ? — Qui ? — Mais cette dame. — C’est ma cousine ! » Diable ! vous jugez de ma situation ! Pour réparer ma gaffe, je reprends : « Mais non, pas celle-ci, celle-là ; regarde. — C’est ma sœur ! » Sapristi ! Et sa sœur était jolie comme un cœur, gentille comme tout et très bien habillée, des broches, des bracelets, des gants ; en un mot, un vrai chérubin. Elle épousa plus tard un excellent homme du nom de Pitkine avec qui elle s’était enfuie et mariée sans le consentement de ses parents. Aujourd’hui, tout va bien ; ils sont riches et les parents n’en finissent pas de se réjouir… Alors voilà : ne sachant plus où me mettre, je lui dis encore : « Non, pas celle-là ; celle qui est au milieu ! Ah ! au milieu ? C’est ma femme ! »… Entre nous, elle était mignonne à croquer !… On l’aurait toute mangée avec plaisir… « Eh bien, lui dis-je, si tu n’as jamais vu d’imbécile, contemples-en un devant toi. Tu peux me couper la