Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/99

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j’arrive à Moscou et je me rends chez une dame avec une lettre de recommandation. C’était une dame excessivement fière. On m’introduit. Le salon était plein de monde, de gros personnages ! Je salue et je m’assois. Dès les premiers mots, cette dame me demande : « Avez-vous beaucoup de villages, mon petit père ? » Je n’avais même pas une poule ; que répondre ? J’étais dans une grande confusion ; tout le monde me regardait. Pourquoi n’ai-je pas dit : « Non, je n’ai rien. » C’eut été plus noble, étant la vérité, mais je répondis : « J’ai cent dix-sept âmes. » Quelle idée d’ajouter cet appoint de dix-sept, au lieu de mentir en chiffres ronds, tout bonnement ! Une minute après, par la lettre même dont j’étais porteur, on savait que je ne possédais rien et que, par-dessus le marché, j’avais menti ! Que faire ? Je me sauvai de cette maison et n’y remis jamais les pieds. Je n’avais rien alors. Aujourd’hui, je possède d’une part trois cents âmes, qui me viennent de mon oncle Afanassi Matveïévitch et deux cents âmes, y compris la Kapitonovka, héritage de ma grand-mère, ce qui fait en tout plus de cinq cents âmes. Ce n’est pas vilain ! Mais, de ce jour-là, je me suis juré de ne jamais mentir et je ne mens pas.

— À votre place, je n’aurais pas juré. Dieu sait