Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/103

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Pétrovitch consentait à honorer ce repas de sa présence, attendu qu’il était de tous les locataires le personnage le plus qualifié.

Catherine Ivanovna, oubliant tous ses griefs contre sa logeuse, avait cru devoir adresser à celle-ci une invitation en règle ; aussi était-ce avec une sorte de joie qu’Amalia Ivanovna s’occupait en ce moment du dîner. De plus, madame Lippevechzel avait fait grande toilette, et, quoiqu’elle fût vêtue de deuil, elle trouvait un vif plaisir à exhiber une belle robe de soie toute neuve. Instruit de tous ces détails, Pierre Pétrovitch eut une idée, et il rentra pensif dans sa chambre ou plutôt dans celle d’André Séménovitch Lebéziatnikoff : il venait d’apprendre que Raskolnikoff figurait au nombre des invités.

Ce jour-là, pour une raison ou pour une autre, André Séménovitch passa toute la matinée chez lui. Entre ce monsieur et Pierre Pétrovitch existaient de bizarres relations, assez explicables du reste : Pierre Pétrovitch le haïssait et le méprisait au delà de toute mesure, presque depuis le jour où il était venu lui demander l’hospitalité ; avec cela, il semblait le craindre un peu.

En arrivant à Pétersbourg, Loujine était descendu chez Lébéziatnikoff d’abord et surtout par économie, mais aussi pour un autre motif. Dans sa province, il avait entendu parler d’André Séménovitch, son ancien pupille, comme d’un des jeunes progressistes les plus avancés de la capitale et même comme d’un homme occupant une place en vue dans certains cercles passés à l’état légendaire. Cette circonstance frappa Pierre Pétrovitch. Depuis longtemps il éprouvait une crainte vague à l’endroit de ces cercles puissants qui savaient tout, ne respectaient personne et faisaient la guerre à tout le monde.

Inutile d’ajouter que l’éloignement ne lui permettait pas d’avoir à cet égard une vue bien nette des choses. Comme les