Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/156

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— Tu as raison, Sonia, dit-il enfin à voix basse.

Un brusque changement s’était opéré en lui ; son aplomb factice, le ton cassant qu’il affectait tout à l’heure avaient soudain disparu ; maintenant on l’entendait à peine.

— Je t’ai dit hier que je ne viendrais pas demander pardon, et c’est presque par des excuses que j’ai commencé cet entretien… En te parlant de Loujine, je m’excusais, Sonia…

Il voulut sourire, mais, quoi qu’il fît, sa physionomie resta morne. Il baissa la tête et couvrit son visage de ses mains.

Tout à coup, il crut s’apercevoir qu’il détestait Sonia. Surpris, effrayé même d’une découverte si étrange, il releva soudain la tête et considéra attentivement la jeune fille : celle-ci fixait sur lui un regard anxieux dans lequel il y avait de l’amour. La haine disparut aussitôt du cœur de Raskolnikoff. Ce n’était pas cela ; il s’était trompé sur la nature du sentiment qu’il éprouvait. Cela signifiait seulement que la minute fatale était arrivée.

De nouveau, il cacha son visage dans ses mains et baissa la tête. Soudain, il pâlit, se leva, et, après avoir regardé Sonia, il alla machinalement s’asseoir sur son lit, sans proférer un mot.

L’impression de Raskolnikoff était alors exactement celle qu’il avait éprouvée quand, debout derrière la vieille, il avait détaché la hache du nœud coulant et s’était dit : « Il n’y a plus un instant à perdre ! »

— Qu’avez-vous ? demanda Sonia interdite.

Il ne put répondre. Il avait compté s’expliquer dans des conditions tout autres, et lui-même ne comprenait pas ce qui se passait maintenant en lui. Elle s’approcha tout doucement de Raskolnikoff, s’assit sur le lit à côté de lui et attendit sans le quitter des yeux. Son cœur battait à se rompre. La situation devenait insupportable : il tourna vers la jeune fille son visage d’une pâleur mortelle ; ses lèvres se tordirent dans un effort pour parler. L’épouvante s’empara de Sonia.