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V

Jusqu’à dix heures du soir, Arcade Ivanovitch Svidrigaïloff courut les bouges et les traktirs. Ayant retrouvé Katia dans un de ces endroits, il lui paya des consommations ainsi qu’au joueur d’orgue, aux garçons et à deux petits clercs vers qui l’avait attiré une sympathie bizarre : il avait remarqué que ces deux jeunes gens avaient le nez de travers, et que le nez de l’un était tourné à droite, tandis que celui de l’autre regardait à gauche. Finalement, il se laissa entraîner par eux dans un « jardin de plaisance » où il paya leur entrée. Cet établissement, décoré du nom de Waux-Hall, n’était au fond qu’un café chantant de bas étage. Les clercs y rencontrèrent quelques « collègues » et se prirent de querelle avec eux. Peu s’en fallut que l’on n’en vînt aux mains. Svidrigaïloff fut choisi comme arbitre. Après avoir écouté pendant un quart d’heure les récriminations confuses des parties en cause, il crut comprendre qu’un des clercs avait volé quelque chose et l’avait vendu à un Juif, mais sans vouloir partager avec ses camarades le produit de cette opération commerciale. À la fin, il se trouva que l’objet volé était une cuiller à thé appartenant au Waux-Hall. Elle fut reconnue par les gens de l’établissement, et l’affaire menaçait de prendre une tournure grave si Svidrigaïloff n’avait désintéressé les plaignants. Il se leva ensuite et sortit du jardin. Il était alors près de dix heures.

Pendant toute la soirée il n’avait pas bu une goutte de vin ; au Waux-Hall, il s’était borné à demander du thé, et encore parce que les convenances l’obligeaient à se faire servir quelque chose. La température était étouffante, et de noirs