Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/27

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étouffé en germe une affaire criminelle qui pouvait bel et bien envoyer M. Svidrigaïloff en Sibérie. Il s’agissait d’un assassinat commis dans des conditions particulièrement épouvantables et, pour ainsi dire, fantastiques. Voilà ce qu’est cet homme, si vous désirez le savoir.

— Ah ! Seigneur ! s’écria Pulchérie Alexandrovna.

Raskolnikoff écoutait attentivement.

— Vous parlez, dites-vous, d’après des renseignements certains ? demanda d’un ton sévère Dounia.

— Je me borne à répéter ce que je tiens de la bouche même de Marfa Pétrovna. Il faut remarquer qu’au point de vue juridique cette affaire est très-obscure. À cette époque habitait ici — et il paraît qu’elle y habite encore — une certaine Resslich, une étrangère qui prêtait à la petite semaine et exerçait divers autres métiers. Des relations aussi intimes que mystérieuses existaient depuis longtemps entre cette femme et M. Svidrigaïloff. Elle avait avec elle une parente éloignée, une nièce, je crois, jeune fille de quinze ans, sinon même de quatorze, qui était sourde-muette. La Resslich ne pouvait souffrir cette fillette, elle lui reprochait chaque morceau de pain et la battait avec la dernière inhumanité. Un jour, la malheureuse fut trouvée pendue dans le grenier. L’enquête d’usage aboutit à une constatation de suicide, et tout semblait devoir en rester là, quand la police reçut avis que l’enfant avait été… violée par Svidrigaïloff. À la vérité, tout cela était obscur : la dénonciation émanait d’une autre Allemande, femme d’une immoralité notoire, et dont le témoignage ne pouvait peser d’un grand poids. Bref, il n’y eut pas de procès, Marfa Pétrovna se mit en campagne, prodigua l’argent et réussit à empêcher les poursuites. Mais les bruits les plus fâcheux n’en coururent pas moins sur le compte de M. Svidrigaïloff. Pendant que vous étiez chez lui, Avdotia Romanovna, on vous a sans doute raconté aussi l’histoire de son domestique Philippe, mort