Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/271

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— Je ne sais ce que tu as, Rodia, dit-elle enfin. Jusqu’ici j’avais cru tout bonnement que notre présence t’ennuyait ; à présent, je vois qu’un grand malheur te menace, et que tu vis dans l’anxiété. Je m’en doutais, Rodia. Pardonne-moi de te parler de cela ; j’y pense toujours, et j’en perds le sommeil. La nuit dernière, ta sœur a eu le délire, et dans les paroles qu’elle prononçait ton nom revenait sans cesse. J’ai entendu quelques mots, mais je n’y ai rien compris. Depuis ce matin jusqu’au moment de ta visite, j’ai été comme un condamné qui attend l’exécution ; j’avais le pressentiment de quelque chose ! Rodia, Rodia, où vas-tu donc ? Car tu es sur le point de partir, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Je l’avais deviné ! Mais je puis aller avec toi, si tu dois partir. Dounia nous accompagnera ; elle t’aime, elle t’aime beaucoup. S’il le faut, eh bien, nous prendrons aussi avec nous Sophie Séménovna ; vois-tu ? je suis toute prête à l’accepter pour fille. Dmitri Prokofitch nous aidera dans nos préparatifs de départ… mais… où vas-tu donc ?

— Adieu, maman.

— Quoi ! aujourd’hui même ! s’écria-t-elle, comme s’il se fut agi d’une séparation éternelle.

— Je ne puis pas rester, il faut absolument que je vous quitte…

— Et je ne puis pas aller avec toi ?…

— Non, mais mettez-vous à genoux et priez Dieu pour moi. Il entendra peut-être votre prière.

— Puisse-t-il l’entendre ! Je vais te donner ma bénédiction… Oh ! Seigneur !

Oui, il était bien aise que sa sœur n’assistât pas à cette entrevue. Pour s’épancher en liberté, sa tendresse avait besoin du tête-à-tête, et un témoin quelconque, fût-ce Dounia, l’aurait gêné. Il tomba aux pieds de sa mère et les baisa. Pulchérie Alexandrovna et son fils s’embrassèrent en pleu-