Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/6

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— Vous avez eu tort de compter sur moi, répliqua Raskolnikoff.

— C’est hier seulement que ces dames sont arrivées ? permettez-moi de vous faire cette question.

Raskolnikoff ne répondit pas.

— C’est hier, je le sais. Moi-même je ne suis ici que depuis avant-hier. Eh bien, voici ce que je vous dirai à ce propos, Rodion Romanovitch ; je crois superflu de me justifier, mais permettez-moi de vous le demander : qu’y a-t-il, au fait, dans tout cela, de si particulièrement criminel de ma part, bien entendu, si l’on apprécie les choses sainement, sans préjugés ?

Raskolnikoff continuait à l’examiner en silence.

— Vous me direz, n’est-ce pas ? que j’ai persécuté dans ma maison une jeune fille sans défense et que je l’ai « insultée par des propositions déshonorantes » ? (Je vais moi-même au-devant de l’accusation !) — Mais considérez seulement que je suis homme, et nihil humanum… en un mot, que je suis susceptible de subir un entraînement, de devenir amoureux (chose sans doute indépendante de notre volonté), alors tout s’expliquera de la façon la plus naturelle. Toute la question est celle-ci. Suis-je un monstre ou ne suis-je pas plutôt une victime ? Et, certes, je suis une victime ! Quand je proposais à l’objet de ma flamme de s’enfuir avec moi en Amérique ou en Suisse, je nourrissais peut-être à son égard les sentiments les plus respectueux et je songeais à assurer notre commun bonheur !… La raison n’est que l’esclave de la passion ; c’est à moi surtout que j’ai nui…

— Il ne s’agit nullement de cela, répliqua avec dégoût Raskolnikoff : — que vous ayez raison ou tort, vous m’êtes tout simplement odieux ; je ne veux pas vous connaître, et je vous chasse. Sortez !…

Svidrigaïloff partit d’un éclat de rire.

— Pas moyen de vous entortiller ! dit-il avec une franche