Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/62

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— Je suis venu pour te parler d’une affaire, dit-il d’une voix forte.

En parlant ainsi, il fronçait le sourcil. La jeune fille leva silencieusement les yeux sur lui ; elle vit que son regard, d’une dureté particulière, exprimait quelque résolution farouche.

— Aujourd’hui, poursuivit-il, j’ai renoncé à tous rapports avec ma mère et ma sœur. Je n’irai plus chez elles désormais. La rupture entre moi et les miens est consommée.

— Pourquoi ? demanda Sonia stupéfaite. Sa rencontre de tantôt avec Pulchérie Alexandrovna et Dounia lui avait laissé une impression extraordinaire, bien qu’obscure pour elle-même. Une sorte d’effroi la saisit à la nouvelle que le jeune homme avait rompu avec sa famille.

— À présent je n’ai plus que toi, ajouta-t-il. — Partons ensemble… Je suis venu pour te proposer cela. Nous sommes maudits tous deux, eh bien ! partons ensemble ! Ses yeux étincelaient. « On dirait qu’il est fou ! » pensa à son tour Sonia.

— Pour aller où ? demanda-t-elle épouvantée, et, involontairement, elle recula.

— Comment puis-je le savoir ? Je sais seulement que la route et le but sont les mêmes pour toi et pour moi ; de cela, j’en suis sûr !

Elle le regarda sans comprendre. Une seule idée se dégageait clairement pour elle des paroles de Raskolnikoff, c’est qu’il était excessivement malheureux.

— Aucun d’eux ne te comprendra si tu leur parles, continua-t-il ; mais moi, je t’ai comprise. Tu m’es nécessaire, voilà pourquoi je suis venu vers toi.

— Je ne comprends pas… balbutia Sonia.

— Tu comprendras plus tard. Est-ce que tu n’as pas agi… comme moi ? Toi aussi tu t’es mise au-dessus de la règle… Tu as eu ce courage. Tu as porté la main sur toi, tu as