Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/8

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saient pas à Marfa Pétrovna. Quand est arrivée l’affaire avec votre sœur, ma femme a été tambouriner cette histoire dans toute la ville, elle a ennuyé toutes ses connaissances avec sa fameuse lettre (vous avez su sans doute qu’elle en donnait lecture à tout le monde ?). C’est alors que ces deux coups de cravache sont tombés comme du ciel !

Un moment Raskolnikoff songea à se lever et à sortir pour couper court à l’entretien. Mais une certaine curiosité et même une sorte de calcul le décidèrent à patienter un peu.

— Vous aimez à jouer de la cravache ? demanda-t-il d’un air distrait.

— Non, pas trop, répondit tranquillement Svidrigaïloff. Je n’avais presque jamais de querelles avec Marfa Pétrovna. Nous vivions en fort bon accord, et elle était toujours contente de moi. Pendant nos sept ans de vie commune je ne me suis servi de la cravache que deux fois (je laisse de côté un troisième cas, du reste, fort ambigu) ; la première fois, ce fut deux mois après notre mariage, au moment où nous venions de nous installer à la campagne, la seconde et dernière fois, c’est dans la circonstance que je rappelais tout à l’heure. — Vous me preniez déjà pour un monstre, pour un rétrograde, pour un partisan du servage ? hé ! hé !…

Dans la conviction de Raskolnikoff, cet homme avait quelque projet fermement arrêté, et c’était un fin matois.

— Vous devez avoir passé plusieurs jours consécutifs sans parler à personne ? demanda le jeune homme.

— Il y a du vrai dans votre conjecture. Mais vous vous étonnez, n’est-ce pas ? de me trouver un si bon caractère ?

— Je trouve même que vous l’avez trop bon.

— Parce que je ne me suis pas formalisé de la grossièreté de vos questions ? Eh bien, quoi ? Pourquoi me blesserais-je ? comme vous m’avez interrogé, je vous ai répondu, reprit Svidrigaïloff avec une singulière expression de bonhomie.